Historique de Combat ouvrier

Le Manifeste

Textes parus entre 1965 et 1972 qui ont servi de base politique au regroupement des travailleurs autour de notre tendance. Et qui sont toujours d’actualité.

Introduction

Nous rééditons dans la présente brochure des textes qui ont servi, et servent encore de base politique au regroupement des travailleurs communistes révolutionnaires autour de notre tendance.

Le premier de ces textes, le « Manifeste de la Ligue » publié en novembre 1965, dans le mensuel Lutte Ouvrière, fut la plate-forme autour de laquelle se regroupa un petit noyau de militants – la Ligue Antillaise des Travailleurs Communistes – qui devait se manifester dans l’émigration antillaise, à Paris. Le troisième texte est la déclaration annonçant la création du journal « Combat Ouvrier » autour duquel devait par la suite s’organiser nos activités. Ce texte annonce que les militants de l’ancienne Lutte Ouvrière ronéotypée allaient travailler avec le nouveau journal « Combat Ouvrier ».

Le lecteur trouvera aussi dans cette brochure d’autres textes parus dans Lutte Ouvrière ou dans Combat Ouvrier et qui donnent une vue d’ensemble des idées pour lesquelles nous nous battons.

Pour la nouvelle tendance révolutionnaire qui se créait autour du « Manifeste », il s’agissait d’accomplir les tout premiers pas dans la voie de la préparation de la révolution socialiste. II s’agissait d’affirmer qu’en dehors des partis ouvriers réformistes tel le P.C.G. et le P.C.M., en dehors également des courants nationalistes radicaux il existait une autre voie pour les travailleurs des Antilles, celle du socialisme révolutionnaire. Le « Manifeste de la Ligue » se réclamait de la lignée qui, de Marx et Engels, conduisit à la révolution d’Octobre et à la fondation du premier État ouvrier de l’histoire.

Le « Manifeste » se situait donc sur le terrain des idées révolutionnaires défendues par les Bolcheviks, par Lénine et Trotsky durant les premières années de la 3ème Internationale.

L’affirmation d’un tel programme ne manqua pas de provoquer une vive hostilité venant des courants nationalistes. Ce qui n’a rien d’étonnant, car faire connaître aux travailleurs ce qui constitue leur véritable programme politique, les appeler à se constituer en classe indépendante de toutes les autres, avec leur propre drapeau, avec leur propre parti et en luttant hardiment pour prendre la tête de la lutte pour l’indépendance des Antilles, tout cela allait contre les intérêts de la petite bourgeoisie nationaliste. Car dans toutes les luttes de libération nationale qui se sont déroulées après la Deuxième Guerre Mondiale, les courants nationalistes avaient toujours pu capter à leur profit, donc finalement au profit de la bourgeoisie, la combativité et l’héroïsme des couches pauvres des peuples opprimés par l’impérialisme. Ils avaient toujours pu fondre la classe ouvrière dans des fronts nationalistes et lui interdire de jouer ainsi le moindre rôle politique indépendant.

C’est aussi la raison pour laquelle il était nécessaire de ne pas en rester à la simple affirmation de principes justes, mais, de s’adresser régulièrement et systématiquement aux travailleurs. Lorsque nous affirmions dans le « Manifeste » que la révolution antillaise devait être dirigée par la classe ouvrière, ce n’était pas qu’une formule creuse. Dés lors, tous les efforts devaient être consentis pour faire connaître les idées socialistes révolutionnaires aux travailleurs afin qu’ils puissent un jour s’en emparer et suivant l’expression de Marx, les transformer en « force matérielle ».

C’est dans ce sens que l’une de nos principales tâches fut la publication et la diffusion sur les lieux de travail, dans les hôpitaux, les centres de P & T d’un bulletin ronéotypé -« Gros Ka »-. Cette feuille constituait pour nous une partie importante de notre effort et reste le moyen privilégié par lequel les idées révolutionnaires peuvent circuler parmi les travailleurs antillais émigrés. C’est aussi le moyen de sélectionner et de former dans l’activité des militants capables de défendre et de propager les idées révolutionnaires, capables d’aider réellement les travailleurs dans leurs luttes. Une telle activité permet de faire le tri entre les révolutionnaires de la parole et ceux qui veulent réellement se dévouer entièrement à la cause du prolétariat, en mettant à son service leurs connaissances, leur temps et leur argent.

Aujourd’hui, outre le « Gros Ka » qui continue à être diffusé dans l’émigration, des bulletins « Combat Ouvrier » paraissent régulièrement en Martinique et en Guadeloupe. Là aussi, c’est en nous adressant régulièrement, le plus fréquemment possible aux travailleurs par ces bulletins d’entreprise « Combat Ouvrier » que nous propageons les idées révolutionnaires dans la classe ouvrière. Ces bulletins dénoncent non seulement les faits de l’exploitation quotidienne et les manifestations de l’oppression coloniale, mais visent, à travers ceux-ci, à donner à la classe ouvrière une conscience socialiste.

Et la sympathie que rencontrent ces bulletins, Gros Ka et Combat Ouvrier, aussi bien que notre journal, montre bien qu’il existe des possibilités dans la voie révolutionnaire marxiste. Le prolétariat des Antilles est parfaitement capable de prendre la direction de la lutte pour l’indépendance nationale et la mener à bien. Et il est le seul à pouvoir le faire sans sombrer dans le nationalisme, c’est-à-dire en préservant, en préparant l’avenir socialiste. Il est possible de lutter pour que les travailleurs disposent de leur propre parti ouvrier révolutionnaire et puissent prendre la tête des luttes pour l’indépendance de la Guadeloupe et de la Martinique.

Tous les efforts de notre tendance ne visent qu’à cela. Et bien que notre acquis soit modeste, il n’en reste pas moins bien réel. Car aujourd’hui, la majorité des travailleurs antillais connaît ne serait-ce que l’existence de « Combat Ouvrier ». Cela, malgré les entraves mises par le colonialisme à la diffusion de notre presse, malgré la saisie de cinq parutions de Combat Ouvrier, malgré les tracasseries administratives des Douanes ou des P & T. Si aujourd’hui notre tendance peut participer à des actions et manifestations anticolonialistes aux côtés de tendances nationalistes ou des partis traditionnels, c’est bien à cause de l’écho que le programme socialiste a rencontré parmi les travailleurs antillais.

Aujourd’hui, après la participation de notre tendance aux élections législatives, qui permit aux idées révolutionnaires de toucher des couches plus larges encore de travailleurs, après notre participation active aux manifestations contre la fraude, beaucoup de travailleurs. et de jeunes suivent avec sympathie nos activités. Beaucoup d’entre eux ont trouvé dans les idées que nous avons défendues en ces deux circonstances politiques un reflet de leurs propres sentiments.

C’est à eux que nous adressons la présente brochure. Qu’elle leur permette de mieux connaître les idées socialistes qui représentent les seules possibilités réelles d’émancipation de l’humanité toute entière et sur lesquelles nous fondons notre activité.

Pour qu’au travers de luttes politiques immédiates la classe ouvrière s’élève à l’accomplissement de sa tache historique, il est nécessaire qu’elle s’empare des idées révolutionnaires, qu’elle se donne une organisation révolutionnaire, un instrument de transformation sociale. La construction d’une telle organisation est nécessaire. Dans cette tâche, il y a de la place pour tout travailleur désireux de lutter pour l’émancipation de sa classe, il y a de la place pour tout intellectuel prêt à lutter sur le terrain et aux côtés du prolétariat.

C’est pourquoi tous ceux qui sont rendus sensibles aux idées socialistes révolutionnaires et les partagent doivent se joindre à l’activité militante. Car c’est le seul moyen de faire triompher les idées socialistes; c’est le seul qui permette de préparer valablement l’avenir.

Le 31 juillet 1971

Depuis trois siècles, notre pays est sous la domination directe et sanguinaire de l’impérialisme français. Depuis trois siècles, nous sommes colonisés, vassalisés, notre développement économique est paralysé par la pression de l’industrie française, notre culture nationale est anéantie et la citoyenneté française que l’on nous offre depuis 1946 ne sert en fait qu’à sucer notre sang. Cette citoyenneté n’est que duperie et ne fait que masquer l’appauvrissement de plus en plus grand de notre population au profit de l’impérialisme français.

Dans le monde actuel, il n’est plus possible, nous ne pouvons plus accepter que nos îles continuent à appartenir non à ceux qui les habitent mais à des capitalistes et à des banquiers, fussent-ils à 7000 kilomètres.

Martinique et Guadeloupe, départements français, est une fiction à laquelle nous devons mettre fin.

D’autres peuples ont livré avant nous ce combat et l’ont livré victorieusement. Nous devons convaincre les hésitants, rassembler les énergies et nous préparer à arracher notre indépendance politique, sociale et économique.

Les gendarmes et les CRS qui sont intervenus le 24 octobre à Sainte-Thérèse n’ont pas mis fin à une émeute ; ils ont assisté au début da l’indépendance des Antilles.

Dans cette lutte, nous n’aurons pas à nous opposer seulement aux sbires et aux mercenaires de l’impérialisme, nous n’aurons pas seulement à vaincre nos propres hésitations, nous aurons aussi à combattre ceux qui, dans notre propre sein, se voient déjà les profiteurs, les dirigeants autochtones des Antilles indépendantes.

Notre lutte pour l’indépendance, c’est la lutte des classes pauvres de la population pour une vie meilleure. Ce n’est pas la lutte pour que les bourgeois antillais puissent profiter de leur commerce, sans craindre la concurrence impérialiste, pour que quelques médecins, avocats ou autres « élites » se retrouvent, plus tard, nantis de postes et de sinécures en nous prêchant le travail, la patience et l’espoir pour le XXIème siècle. Notre lutte pour l’indépendance, nous ne la menons pas pour remettre le pouvoir à qui que ce soit, mais pour, ouvriers, paysans pauvres, chômeurs, hommes, femmes, jeunes, l’exercer nous-mêmes. Nous aurons su nous battre, nous aurons su vaincre, nous saurons bien nous gouverner. Si les CRS français reprennent la mer, ce n’est pas pour voir à Sainte-Thérèse ou ailleurs d’autres CRS, fussent-ils de notre couleur.

En effet, beaucoup de gens qui savent bien parler, nous parlent d’indépendance en disant que nous, Antillais, nous sommes tous frères, tous unis, que ce qui compte, c’est uniquement de chasser l’impérialisme et après, de continuer à « bien nous entendre ».

Or nous savons que ce n’est pas vrai. Un riche et un pauvre ne pourront jamais, s’entendre. Ils ne seront jamais aussi « indépendants » l’un que l’autre. À l’heure actuelle, il y en a d’ailleurs un des deux qui est plus colonisé que l’autre.

Si nous nous battons contre l’impérialisme, c’est parce que l’impérialisme a appauvri les Antilles. Les pauvres sont les plus nombreux, c’est aux qui fourniront le plus de combattants, c’est eux qui devront gouverner eux-mêmes.

Dans le monde actuel, il y a beaucoup de pays politiquement indépendants de l’impérialisme qui sont aussi pauvres que nous le sommes. II y a des pays qui n’ont jamais été colonisés mais qui font quand même partie des nations prolétaires, des nations pauvres, des nations sous-développées. Ils ont l’avantage sur nous de ne pas avoir à subir l’oppression directe du colonisateur. Mais ils ont le regret aussi de subir ce qu’ils subissent de la part d’exploiteurs qu’ils ne peuvent pas haïr de la même façon. Pour certains même, il y a pire. II y a le désespoir d’avoir lutté, d’avoir cru vaincre et de voir les misérables toujours aussi misérables, et les gouvernants devenir des cliques écartant les ouvriers et les paysans pauvres du pouvoir jusqu’à ce qu’une poignée de militaires les en écartent eux-mêmes.

Nous ne vivrons pas cela. Nous ne vivrons pas cela car nous construirons dans la lutte pour l’indépendance une organisation des travailleurs antillais qui sera à la tête de cette lutte et se donnera dans la lutte aussi bien qu’après la victoire, les moyens d’associer tous les travailleurs et tous les paysans pauvres à l’exercice du pouvoir.

C’est le but des révolutionnaires regroupés dans la Ligue Antillaise des Travailleurs Communistes.

Nous sommes socialistes dans la tradition de Marx et des révolutionnaires russes de 1917. Le socialisme, c’est la mise en commun de toutes les forces productives, celles des nations riches comme celles des pauvres et l’utilisation de ces forces au profit de tous sans distinction de race ou de nationalité. Seuls les travailleurs sont capables d’arracher dans le monde entier les moyens de production, les usines gigantesques, les barrages, les mines, les chantiers, les voies ferrées, les compagnies de navigation ou d’aviation des mains des quelques parasites qui se les sont appropriés et qui exploitent le monde entier.

Le socialisme, nous ne le réaliserons pas dans les seules Antilles. Le socialisme, cela ne peut exister que d’un bout à l’autre de la Terre ou ne pas exister.

Mais nous pouvons, nous travailleurs, faire en sorte que dans les Antilles libres, ce soient les travailleurs qui gouvernent et pas des exploiteurs ou des commis d’exploiteurs. Le socialisme exige d’abord cette condition. On ne peut y aller autrement.

Nous ne pouvons pas faire que les ouvriers américains ou les ouvriers français rompent avec leurs propres chaînes. Nous ne pouvons pas faire qu’ils construisent des partis révolutionnaires et soient capables d’abandonner leur routine, leur course au bien-être et leurs préjugés, pour construire, en détruisant les bastions impérialistes, un monde meilleur pour eux-mêmes et pour l’humanité toute entière. Nous ne pouvons pas faire qu’ils abandonnent les organisations traîtres qui tiennent le devant de la scène pour engager la lutte contre le capitalisme. Mais nous pouvons leur donner notre exemple. Nous pouvons leur montrer ce que les travailleurs révolutionnaires d’un petit pays peuvent faire. Nous pouvons, nous les exploités, les sous-développés, les arriérés, les guider dans la voie vers le socialisme, dans la voie du progrès. Tous les biens ne sont pas matériels!

Le capitalisme a conquis la Terre. II a transformé la planète et l’a modelée à son image. Le socialisme est universel; il ne peut aboutir que si les grandes puissances impérialistes sont abattues de l’intérieur par leur propre prolétariat.

Mais nous n’avons pas à attendre. Nous ne le pouvons pas. Et qui plus est, nous pouvons montrer qu’aux Antilles peut vivre un peuple de travailleurs, libre, indépendant, majeur, se gouvernant lui-même et capable de montrer au monde entier la voie à suivre. Un petit caillou dévie parfois le cours de grandes rivières.

Et dans la lutte elle-même, les travailleurs antillais et leur organisation révolutionnaire n’auront pas un rôle négligeable sur l’évolution des organisations américaines ou françaises. La Ligue Antillaise des Travailleurs Communistes se donne pour but

  • de regrouper les travailleurs, de les éduquer, de les aider au travers de la lutte pour l’indépendance à prendre conscience de, leur état de travailleurs, de leurs intérêts de classe et du rôle indispensable et grandiose que la classe ouvrière, joue et jouera dans la transformation socialiste du monde.
  • d’associer à cette lutte tous ceux, de quelque origine qu’ils soient, qui acceptent de se mettre au service de la classe ouvrière et d’adopter son point de vue de classe .
  • d’engager la lutte morale, matérielle et physique pour l’indépendance politique de l’impérialisme français.
  • de mettre en place, au cours même de la lutte pour l’indépendance, les organes du pouvoir démocratique des ouvriers et des paysans.
  • de veiller par la propagande et l’organisation à ce qu’après l’indépendance, le peuple reste en armes jusqu’à ce que ses revendications aient abouti et qu’il soit en mesure, à tout instant, d’exercer le pouvoir sans que personne puisse l’accaparer et le lui ôter.
  • à agir au sein des classes ouvrières américaine et française pour faire connaître les buts de la lutte des travailleurs antillais et pour aider les révolutionnaires des grandes puissances impérialistes à éduquer et à organiser la classe ouvrière des pays dits avancés pour lui faire prendre conscience de ses intérêts et de ses devoirs historiques.

Publié le 16 novembre 1965.

Alors que le Front guadeloupéen pour l’Autonomie a plus de trois mois d’existence, son programme et ses perspectives restent les mêmes et personne ni aucune organisation n’a fait une critique sensée et complète de ce Front. Tous les partis, tous les groupes, toutes les associations et les cercles continuent d’observer un silence prudent en ce qui concerne la nature de ce front ; parallèlement Lauriette développe une idéologie et une méthodologie autonomiste qui sont fort contestables et pourtant tout le monde sans aucune exception se tait.

Évidemment nous comprenons fort bien pourquoi le Parti Communiste observe le silence le plus complet à ce propos. Tout le programme du Front, sa méthode, son comportement au sein des masses sont fort peu différents de ce que lui-même propose. Il y a longtemps que le Parti Communiste Guadeloupéen n’est plus communiste.

Par contre, nous comprenons moins bien les hésitations et les piétinements des camarades du Gong à ce sujet. Nous pensons qu’il fallait porter une critique sur le fond sur ce Front, d’autant plus que vous y étiez. Il fallait présenter votre propre programme qui ne peut être que le programme du prolétariat révolutionnaire à la tête de la lutte d’émancipation nationale. Il fallait dire que pour une organisation révolutionnaire marxiste-léniniste la lutte pour le socialisme est le principal objectif, la lutte d’émancipation nationale n’étant qu’une étape de ce combat grandiose. Le socialisme étant une affaire mondiale, sa réalisation impliquant le concours de toute la planète, et dépassant le cadre des frontières nationales si vastes soient-elles, et à plus forte raison les limites insulaires, il fallait dire et affirmer que lutter pour le socialisme signifie lutter au nom du prolétariat international, seule force susceptible de participer à la lutte socialiste dans le monde entier.

Évidemment, si cela ne vous paraît pas évident, abandonnez le vocabulaire marxiste et considérez-vous sans fard, c’est-à-dire nationalistes.

Ainsi face à ce grand calme de gens qui sont trop sûrs d’être dans la bonne voie, face à cette sérénité des gens qui se trouvent dans leur élément, nous sommes obligés d’exprimer notre point de vue simplement en nous référant au marxisme traditionnel et véritable.

Pour nous les tâches d’un révolutionnaire marxiste sont claires.

Il s’agit d’organiser le prolétariat des villes et des campagnes en vue de mener la lutte pour le socialisme, c’est-à-dire la lutte pour un État ouvrier, au travers de la lutte anticolonialiste. Cela suppose une organisation de la classe ouvrière (si faible soit-elle numériquement) en un parti révolutionnaire sur la base des principes marxistes-léninistes. Et il faut bien comprendre qu’il s’agit avant tout d’une prise de conscience de l’avant-garde révolutionnaire.

Il s’agit principalement pour l’avant-garde et quelle que soit sa composition sociale actuelle, de vouloir consciemment et ouvertement se placer sur le terrain de classe du prolétariat. Il s’agit de faire siens les intérêts historiques du prolétariat, qui sont ceux de toute l’humanité, d’élaborer une stratégie, une tactique du prolétariat révolutionnaire en lutte et d’orienter sa propagande et son action en fonction du niveau de conscience du prolétariat d’une part, et de ses possibilités révolutionnaires historiques d’autre part.

Évidemment certains prétendront que les ouvriers sont les plus difficiles à prendre conscience étant donné qu’ils ont du travail et ont un salaire, ce qui n’est pas l’apanage de tous aux Antilles, donc on continue en disant que ceux-ci se considèrent comme heureux et on conclue en disant que « mon Dieu », il vaut mieux ne pas déranger les ouvriers satisfaits et s’en aller à la campagne où la colère gronde. Cela fait des années et des années qu’on répète ce raisonnement. Et pourtant dans les luttes syndicales, dans les luttes politiques, dans les luttes électorales, quels sont les éléments les plus actifs ? Quelle est la profession où les gens sont les mieux organisés et les plus actifs ? Ce sont les dockers. Qui ne se souvient des grèves violentes déclenchées dans les usines à sucre ? Qui ne se souvient des ouvriers montant à l’assaut de la maison des directeurs ? Qui prétendra que le sort des ouvriers du sucre est rose (même les employés de bureau de ces usines sont en butte au racisme, à la morgue et aux tracasseries des usiniers et de leurs valets).

Qui ne se rappelle les grandes grèves organisées à l’époque où le P.C. conservait encore, à défaut d’une clarté de vue sur les problèmes coloniaux, une certaine combativité ? Qui n’a jamais vu à Pointe-à-Pitre un défilé ou un rassemblement des habitants des faubourgs ? Que sont ces gens-là ? Ne sont-ce pas des fils des femmes des familles de prolétaires ? Qui d’autres que des ouvriers habitent les faubourgs de Basse-Terre et de Pointe-à-Pitre ? Et vous soutiendrez que les ouvriers ne peuvent pas être mobilisés ? Évidemment ce sera un travail long, lent, difficile.

Mais revenons à notre exposé des quelques principes qui devraient guider notre travail de révolutionnaires.

Ce n’est pas tout de s’exclamer contre le colonialisme et de vouloir lancer les masses avec des « bâtons et des fourches à la prise de la Bastille ». Il s’agit de proposer un programme précis aux ouvriers et aux paysans pauvres et il faut défendre ce programme par nos paroles, par nos actions, par nos écrits, par nos prises de position.

Notre but doit être de mobiliser la classe ouvrière afin qu’elle prenne la tête de la lutte de libération nationale, afin qu’au travers de cette lutte elle construise ses propres organes de pouvoir. La classe ouvrière et son parti peuvent passer des accords avec les organisations paysannes, partager démocratiquement le pouvoir avec celles-ci éventuellement, passer des accords de Front unique avec les organisations nationalistes petites-bourgeoises participant à la lutte de libération nationale, mais en aucun cas, laisser les masses prolétariennes urbaines et rurales sous la direction exclusive de ces organisations. Dans ce cas on dit qu’on lutte pour le socialisme mais on lutte en fait contre les travailleurs, pour la petite-bourgeoisie.

Elle suivra les masses dans leur élan si celles-ci sont les plus fortes, (d’ailleurs même dans ce cas la petite-bourgeoisie peut se lier davantage à l’impérialisme). Seule la mobilisation des masses prolétariennes, leur participation consciente et directe en tant que prolétariat à la lutte, peut permettre de créer un État ouvrier et partant de parler, même au futur, de socialisme. Or il n’y a pas à se leurrer ; aux Antilles comme, dans tout pays colonisé (comme dans tout pays tout court) au XXème siècle, il n’y a qu’une voie possible : c’est celle de la révolution socialiste.

Certains comme le groupe du Progrès Social prétendent qu’il ne doit y avoir qu’un peuple uni face à un autre exploiteur. Ces appels incessants à l’unité du peuple, à sa « globalité », ces références constantes à Fanon ne servent qu’à masquer davantage les contradictions de classes à l’intérieur du peuple guadeloupéen. Ces façons de concevoir notre lutte laissent les masses désarmées, sans aucun moyen pour contrôler par la suite les opérations du pouvoir.

Nous disons qu’il s’agit avant tout de bien expliquer aux masses ouvrières et paysannes les mobiles et les mécanismes de l’exploitation, il s’agit de bien leur faire comprendre que leur sort est entre leurs mains propres et que seul l’internationalisme prolétarien peut amener la victoire du prolétariat, des masses internationales. Donc il s’agit de donner à cet internationalisme un contenu pratique et vivant et non pas se contenter de voeux et de souhaits pieux concernant la destruction de l’impérialisme. Donc faire appel à la classe ouvrière, mettre en lumière la trahison du P.C., mettre cette classe ouvrière face à ses responsabilités.

Ceux qui veulent négliger cet aspect de la lutte ne sont qu’aveuglés par un nationalisme étroit. Pour un révolutionnaire marxiste, il n’y a qu’un prolétariat exploité dans le monde à des degrés divers suivant les nations ; certains contribuant même parfois à l’exploitation de leur frère par leur propre bourgeoisie. Mais c’est justement le devoir d’un révolutionnaire de mettre en lumière tous ces aspects de la lutte du prolétariat international.

Un révolutionnaire socialiste, c’est-à-dire marxiste-léniniste, doit se distinguer d’un révolutionnaire nationaliste petit-bourgeois.

Ce n’est que si l’on organise le prolétariat révolutionnaire de façon indépendante des autres classes de la société qui participent à la lutte d’émancipation, que l’on peut faire prendre conscience à la classe ouvrière dans son ensemble du rôle particulier qu’elle doit jouer.

Ce n’est que si la classe ouvrière a conscience de ce rôle qu’elle participera directement au futur pouvoir, par des organes de pouvoir démocratiques, directement représentatifs de la classe ouvrière. Il ne s’agit pas d’écarter la paysannerie pauvre ou le prolétariat agricole du pouvoir, bien au contraire. Mais, donner soi-disant tout le pouvoir à la paysannerie, c’est pour l’appareil d’État issu de la lutte d’émancipation victorieuse le moyen d’échapper à tout contrôle. Les paysans sont loin des centres nerveux des sociétés modernes. Ils sont généralement dispersés. Le prolétariat est, lui, concentré dans les villes et les grandes communes ; il peut participer tous les jours au pouvoir, au contrôle de ceux qu’il a mandatés. Si l’on ne prépare pas le prolétariat à jouer ce rôle, si par son organisation révolutionnaire, il n’acquiert pas cette conscience de classe, on arrive à des pouvoirs qui n’ont de socialiste que le nom et qui remplacent la participation des ouvriers au pouvoir politique par l’autogestion limitée et contrôlée de certaines entreprises.

Tout le problème tourne autour de la question de cette prise de conscience par le prolétariat urbain, par le prolétariat rural et par les paysans pauvres, du rôle qu’ils doivent jouer dans l’exercice du pouvoir et des caractéristiques de ce pouvoir qui doit être l’instrument exclusif des classes pauvres en éliminant toute possibilité d’intervention politique des possédants, de la bourgeoisie grande ou petite.

Même nos camarades du Gong ne sont guère explicites sur ce point. Ils ne montrent guère qui dirigera la lutte et comment les masses contrôleront l’économie et donc l’État. Nos camarades du Gong semblent être effrayés pas l’expression marxiste de dictature du prolétariat et pourtant, dans le numéro 5 du Gong Information il est dit que le marxisme est la théorie qui guide le Gong ; c’est la théorie qui lui fournit ses principes d’action politique.

Mais le marxisme est scientifique, le marxisme est un enchaînement de principes, le marxisme est dialectique et l’on ne peut guère choisir ce qui vous plaît et laisser le reste de côté encore moins quand il s’agit de ses traits essentiels : lutte de classe, dictature du prolétariat, internationalisme du prolétariat.

Mais il est sûr que nos camarades approfondiront les questions étant donné qu’ils continuent comme nous-mêmes l’étude et la pratique du marxisme, c’est leur devoir.

Pour nous résumer, nous dirons qu’actuellement seule la classe ouvrière aidée des paysans pauvres, peut mener une lutte dure, longue et âpre en préservant les chances du socialisme, contre le colonialisme et l’impérialisme français.

Évidemment dans cette lutte contre un oppresseur national, le prolétariat n’est pas seul, nous l’avons dit, il sera aidé avec efficacité par les paysans pauvres, mais d’autres couches sociales ne sont pas insensibles à cette oppression nationale, d’autres groupes sociaux s’indignent de l’arbitraire et de la pourriture qui règnent aux Antilles. C’est ainsi que nous pourrons compter sur de larges fractions de fonctionnaires désabusés par les injustices, les tracasseries et le racisme de leurs chefs blancs.

C’est ainsi que nous verrons les petits pêcheurs, les petits artisans, les petits planteurs, les petits entrepreneurs rejetés dans le camp du prolétariat par la concurrence active des grosses sociétés étrangères, et par un régime fiscal écrasant. Nous pouvons compter aussi sur l’indignation de beaucoup de gens honnêtes et épris de justice et de dignité. Beaucoup de gens sensibles à l’oppression culturelle, et à la dépersonnalisation des Antilles.

Nous voyons donc que les alliés ne manqueront pas dans la lutte du prolétariat antillais. C’est pourquoi l’organisation représentant le prolétariat révolutionnaire doit avoir un programme socialiste ; elle doit viser ouvertement la construction révolutionnaire d’un État ouvrier mais cela ne veut pas dire qu’elle doive négliger, bien au contraire, l’élaboration d’une plate-forme politique dont la réalisation puisse faire l’objet d’accords de front unique avec les organisations nationalistes petites-bourgeoises participant à la lutte d’émancipation nationale.

Mais il ne faut pas surestimer tes possibilités des groupes dont nous venons de parler. Entre eux, il n’y a aucun lien, et isolément, quand bien même mèneraient-ils une lutte farouche contre les impérialistes oppresseurs, aucun d’eux ne pourra lutter pour le socialisme.

Donc la tâche du prolétariat sera de se mettre à la tête du mouvement révolutionnaire afin de mener la lutte de libération nationale et du même coup, la poursuivre jusqu’à la lutte pour le socialisme.

Lutte ouvrière (Antilles) no. 1 du 16 novembre 1965

LUTTE OUVRIÈRE A DÉCIDE DE SE JOINDRE AUX CAMARADES DE COMBAT OUVRIER

Depuis bientôt six années, depuis le 16 novembre 1965, date de parution de son numéro 1, Lutte Ouvrière a chaque mois fourni aux travailleurs antillais le point de vue, les analyses d’un groupe de travailleurs marxistes révolutionnaires (trotskystes).

Le but de l’équipe rédactionnelle de cette publication, organe de la Ligue Antillaise des Travailleurs Communistes, a été tout au long de ces six années de regrouper les travailleurs antillais conscients de l’exploitation que le capitalisme ascendant, puis l’impérialisme français ont imposé à notre pays depuis plus de trois siècles, et du rôle historique du prolétariat des Antilles, qui est de supprimer à tout jamais cette oppression économique, politique, sociale et culturelle de notre pays en y instaurant un pouvoir ouvrier. Regrouper les travailleurs les plus conscients, mais aussi et surtout éduquer et amener à la conscience révolutionnaire et à l’organisation révolutionnaire les moins conscients.

Pour remplir cette tâche, il importait en premier lieu de créer un organe qui diffuserait parmi les travailleurs antillais les idées marxistes-révolutionnaires. Ceci pour mieux mettre en lumière la trahison chaque jour répétée par les P.C. antillais des idées et des principes de Marx, Engels, Lénine, Trotsky.

Pour faire toucher du doigt à chaque travailleur le rôle véritable et la nature véritable des réformistes du P.C.G., du P.C.M. ou du P.C.R.

Rappelons que pour nous, si ces partis se parent encore des couleurs du communisme, cela est dû à leur volonté uniquement d’utiliser pour les seuls intérêts de leur propre caste bureaucratique, l’attachement des travailleurs de tous les pays pour les idées qui animaient les prolétaires russes d’octobre 1917. Mais les vieux partis réformistes staliniens ne constituent pas les seuls groupements politiques que les travailleurs antillais devront démystifier pour réaliser la révolution sociale.

Des organisations beaucoup plus récentes telles le GONG, en Guadeloupe et plusieurs groupes « pro-chinois » en Martinique, se réclament du communisme alors qu’en réalité, ils enferment le prolétariat dans une lutte purement nationale.

Il était donc important pour nous de critiquer la nature petite-bourgeoise de telles organisations et en ce qui concerne le GONG, les multiples scissions qui s’y sont effectuées depuis quelques mois et la façon dont se sont effectuées ces scissions (pour des raisons de personnes beaucoup plus que suivant de nets clivages politiques) apportent si besoin s’en faisait sentir, la preuve de la justesse de nos analyses.

Depuis mai 1967, et plus particulièrement depuis janvier 1971, la lutte des travailleurs antillais est entrée dans une phase décisive. Au travers de la grève des travailleurs agricoles, de la grève des ouvriers du bâtiment, de la grève des ouvriers de la SPEDEG, des travailleurs des banques, etc… La conscience de classe du prolétariat des Antilles grandit chaque jour.

Chaque jour augmente son degré de combativité et sa capacité d’organisation, infligeant ainsi d’éclatants démentis à tous ceux qui se demandent s’il existe, même dans des pays aussi sous-développés que le sont les Antilles, une « classe ouvrière ».

Pour les trotskystes antillais, il devient particulièrement important, devant un tel développement des luttes, de se donner les moyens d’être à la hauteur des tâches organisationnelles de l’époque historique que traverse le mouvement ouvrier dans nos pays. De se donner notamment des moyens plus adéquats d’information et de propagande des idées révolutionnaires.

Depuis le 24 mai 1971, un mensuel trotskyste rédigé par des travailleurs révolutionnaires antillais est né. Il s’agit d’un journal imprimé Combat Ouvrier. Le fait qu’un tel journal puisse être publié traduit la pénétration des idées trotskystes, parmi une fraction des travailleurs antillais.

Et ceci n’a été possible que grâce à la sympathie que nos idées ont rencontré dans cette fraction des travailleurs antillais et à l’aide qu’ils nous ont apportée. Avec la parution de Combat Ouvrier, une étape importante a été franchie. Les idées qui sont les nôtres sont également celles qui guident la rédaction de Combat Ouvrier.

C’est pourquoi l’équipe rédactionnelle de Lutte Ouvrière a décidé de ne plus faire paraître cette publication et de se joindre aux camarades de Combat Ouvrier, afin de l’aider à construire le Parti Ouvrier Révolutionnaire des travailleurs antillais, seul capable de conduire le prolétariat antillais à la conquête du pouvoir dans nos pays.

(Lutte Ouvrière – 31 juillet 1971)

COMBAT OUVRIER, UN JOURNAL COMMUNISTE RÉVOLUTIONNAIRE

A l’heure où dans le monde -il en va aux Antilles comme partout ailleurs- le prolétariat relève la tête pour affronter de plus en plus durement la bourgeoisie, à l’heure où la crise du système capitaliste apparaît dans toutes les manifestations de la vie de la planète (fermetures d’usines, licenciements massifs, chômage, guerres coloniales, révoltes de jeunes, crises financières, etc…), il est urgent que la classe ouvrière se forge une nouvelle direction politique à l’échelle mondiale, et donc aussi à l’échelle de chaque pays.

C’est à cette tâche que nous voulons consacrer nos efforts, en ce qui concerne la Guadeloupe et la Martinique.

Au travers de la crise sociale et politique que vivent les Antilles dites françaises, nous voulons par nos prises de position, par nos analyses, aider le prolétariat à retrouver le chemin des traditions révolutionnaires prolétariennes. Nous voulons l’aider à prendre conscience, au cours de la lutte pour l’émancipation nationale, de son propre intérêt de classe.

Dans cette lutte, nous savons que les travailleurs auront à affronter les vieux partis qui continuent à se réclamer du socialisme et du communisme. Nous aurons à charge de montrer en quoi ces partis staliniens (P.C.G. et P.C.M.) ou sociaux-démocrates de la S.F.I.O. moribonde, ne représentent nullement les idées révolutionnaires socialistes. Il est vrai qu’en ce qui concerne la S.F.I.O., il n’y a guère plus d’ouvriers pour se faire d’illusions à son sujet. Pour les P.C.G. et P.C.M., ceux-ci continuent à avoir la confiance de nombreux ouvriers. C’est au travers de leurs actions ou leur inaction que nous ferons ressortir la fausseté de leur politique.


Nous nous opposerons également à l’utilisation des forces du prolétariat comme appoint à une lutte nationale.

Si la lutte pour renverser le joug de l’impérialisme français et pour émanciper la Guadeloupe et la Martinique de la domination coloniale est primordiale, il est non moins primordial qu’elle soit menée sous la direction du prolétariat conscient de ses intérêts propres et de sa tâche historique propre, tâche qui ne se limite pas à l’émancipation nationale, mais à l’émancipation des masses ouvrières et paysannes pauvres de toute espèce d’exploitation et d’oppression.

Tout en étant solidaires, face à la répression coloniale, de tous les groupes qui luttent pour l’indépendance ou l’autonomie, nous nous opposerons à la politique de tous ceux qui cherchent à dissoudre le prolétariat conscient dans des « blocs » ou « fronts » substituant la lutte nationale à la lutte des classes et identifiant sous quelque forme que ce soit les intérêts des exploités antillais à ceux des exploiteurs antillais. Nous chercherons au contraire à développer les sentiments de classe indépendante dans les masses ouvrières.

Et seule la garantie pour que l’émancipation nationale profite aux couches les plus pauvres de la population et pour que les masses ouvrières et paysannes ne jouent pas le rôle de masse de manoeuvre pour les forces bourgeoises nationales, réside dans la prise de pouvoir par la prolétariat. Cette tâche, le prolétariat ne pourra l’accomplir que s’il construit son propre parti révolutionnaire et conserve son indépendance politique vis-à-vis de toutes les autres couches sociales, quelles que soient les alliances qu’il pourra être amené à contracter.

Ce journal ne pourra vivre que si les travailleurs, les jeunes, les intellectuels l’entourent de leur chaude sympathie.

Qu’ils le fassent connaître, qu’ils le diffusent autour d’eux, qu’ils organisent autour de lui des séances de lecture et de discussions, qu’ils envoient à l’adresse de la publication leurs soutiens financiers, et Combat Ouvrier vivra le temps nécessaire pour la pénétration des idées socialistes révolutionnaires dans la classe ouvrière.

(Extrait de l’éditorial du no.1 de Combat Ouvrier – 24 mai 1971)

AUX MILITANTS, AUX SYMPATHISANTS, AUX ÉLECTEURS DES PARTIS COMMUNISTES MARTINIQUAIS ET GUADELOUPÉEN, À TOUS LES TRAVAILLEURS, AUX FEMMES, AUX PAYSANS PAUVRES.

Nous sommes tous conscients de la dégradation de plus en plus poussée de la situation économique et sociale des Antilles dites françaises.

Les travailleurs antillais sont chaque jour plus nombreux à être acculés à la misère, au chômage ou à l’exil. Cette année encore, beaucoup d’entre nous seront licenciés des entreprises ou ne trouveront pas de travail dans les champ ; cent cinquante ouvriers et employés de l’usine Beauport sont actuellement menacés de licenciement.

NOUS EN AVONS ASSEZ

Assez des salaires de misère.

Assez de courir sans espoir, à la recherche d’un emploi.

Assez de képis rouges, gendarmes, C.R.S. et policiers qui matraquent et assassinent ceux qui luttent pour l’amélioration de leurs conditions de travail et de vie.

Assez des belles paroles de ceux qui nous gouvernent et nous promettent en vain le secours de la « mère patrie », mais qui depuis trois siècles organisent l’exploitation et le pillage des Antilles.

Assez de voir, les riches parader dans un luxe insolent alors que les pauvres croupissent dans des cases insalubres sans même pouvoir vivre au moins décemment.

Nous voulons que cela change. Les mouvements de grève incessants qui se déroulent depuis plus d’un an dans tous les secteurs à la Guadeloupe comme à la Martinique le montrent amplement.

Le Parti Communiste Guadeloupéen et le Parti Communiste Martiniquais nous appellent à une alliance avec les travailleurs de France « sur la base du programme socialo-communiste ».

C’est donc qu’ils approuvent ce programme. C’est donc qu’ils approuvent l’alliance avec Mitterrand, autrefois organisateur, en tant que ministre, de la répression contre le peuple algérien.

En ce qui concerne les revendications essentielles des travailleurs français, ce programme ne prend déjà aucun engagement sérieux et précis.

Mais en ce qui concerne les colonies, le programme commun P.C.-P.S. s’est encore engagé à moins de choses si c’est possible. Il se contente d’affirmer qu’un gouvernement de gauche « reconnaîtra le droit à l’autodétermination des peuples des D.O.M. », que « les populations de ces quatre territoires seront appelées dans les meilleurs délais à élire chacune au suffrage universel – et dans des conditions assurant l’exercice réel des libertés démocratiques – une assemblée ayant pour but l’élaboration d’un nouveau statut qu’elle discutera avec le gouvernement et qui permettra à ces peuples de gérer eux-mêmes leurs propres affaires ».

II s’agit là d’une position commune au P.C.F., P.C.M. et P.C.G.

CONDITIONS DÉMOCRATIQUES POUR L’ÉLECTION D’UNE ASSEMBLÉE NATIONALE.

Mais ni le P.C.G., ni le P.C.M., ni la gauche française (P.C.F.-P.S) ne disent rien de ces « conditions assurant ces libertés démocratiques ».

II ne suffit pas de reconnaître le « droit à l’autodétermination ». Il s’agit que les couches pauvres de la population puissent s’exprimer et s’organiser dans les meilleures conditions pour l’exercice de ce droit.

Pourquoi les P.C.G., P.C.M. et P.C.F.-P.S. ne s’engagent-ils pas, si la gauche vient au gouvernement, à retirer immédiatement des D.O.M. et T.O.M. toutes les forces de répression coloniales ? En remplacement, les travailleurs se chargeront eux-mêmes des tâches du maintien de l’ordre, en constituant une force chargée de surveiller et réprimer les agissements de la bourgeoisie locale et de tous les ennemis du peuple.

Des « conditions démocratiques » exigent :

  • que tous les partis et organisations défendant les intérêts des travailleurs, des paysans pauvres et des chômeurs, aient la possibilité d’utiliser les imprimeries sous le contrôle de comités de travailleurs qui protégeront le droit d’expression ;
  • que les moyens d’information (radio et télévision) soient aussi placés sous le contrôle d’un comité de travailleurs qui permettra l’utilisation démocratique de la radio-télévision par tous les partis et organisations représentant une tendance de la population laborieuse ;
  • que les édifices publics, salles de réunions, salles des fêtes soient mis librement et gratuitement à la disposition de toute organisation populaire ou parti, représentant un courant du peuple opprimé, qui en fera la demande ;
  • que l’organisation des élections libres en vue de déterminer le statut futur des D.O.M. et T.O.M. soit placée sous le contrôle de représentants des travailleurs élus dans les entreprises, les plantations et les quartiers ;
  • que le bon déroulement de toutes les opérations électorales soit placé aussi sous le contrôle d’une milice populaire composée de travailleurs élus.

Bien qu’à notre avis il soit illusoire de croire à la possibilité d’une transformation radicale de la situation ici par le biais d’élections uniquement, nous pensons toutefois que si « l’union populaire » se donne un programme de gouvernement et qu’elle prétend gouverner demain au profit des travailleurs et des opprimés, elle doit prendre des engagements clairs sur l’attitude qu’elle aura au pouvoir. Si nous sommes absolument confiants dans le fait que si la classe ouvrière de France arrive au pouvoir demain, elle prendra toutes les mesures pour que les peuples dominés par l’impérialisme français puissent disposer librement d’eux-mêmes, nous ne pouvons, par contre, nous fier aux déclarations extrêmement vagues du programme commun P.C.F.-P.S.; c’est pourquoi nous pensons que tous les militants, sympathisants et électeurs communistes auront à cour d’exiger que les P.C.G. et P.C.M. réclament à la « gauche » (P.C.F.-P.S.) des engagements clairs sur leur politique anticolonialiste.

EXPROPRIATION DES CAPITALISTES

Mais il est d’autres plans sur lesquels le programme commun du P.C.F. et du P.S. soutenu par les P.C.M., P.C.G., aux Antilles ne contient aucun engagement clair pour le cas où ils viendraient au gouvernement.

Quelles mesures les Partis Communistes et le Parti Socialiste prendront-ils contre les capitalistes et les propriétaires fonciers qui exploitent les travailleurs, ruinent les paysans pauvres ou les contraignent à vivre dans la misère sur de minuscules lopins de terre ?

Les Partis Communistes et le Parti Socialiste s’engagent-ils, s’ils viennent au gouvernement :

  1. à exproprier les société sucrières possédant terres et usines ;
  2. à remettre ces biens (terres et usines) aux mains de comités d’ouvriers, de travailleurs agricoles et des paysans pauvres élus ;
  3. à placer tous les avoirs des banques et autres organismes financiers sous le contrôle de comités de travailleurs élus ;
  4. à placer tous les service publics : ports, aéroports, Sécurité sociale, service d’eau, d’électricité, matériel des ponts et chaussées, sous le contrôle de comités de travailleurs élus dans ces différents secteurs.

SUR LE PLAN SOCIAL

Les P.C. et le P.S. s’engagent-ils à mener une politique sociale qui permette de lier 1a liquidation du colonialisme à l’amélioration de la situation sociale des travailleurs :

  1. suppression immédiate des heures supplémentaires sans diminution du salaire ;
  2. suppression du travail de nuit ;
  3. répartition du travail entre tous en vue de la disparition du chômage ;
  4. répartition équitable des logements, destruction immédiate des bidonvilles et relogement des familles ouvrières et paysannes en fonction du nombre d’enfants dans des logements décents (eau, électricité), lutte contre les spéculateurs du logement, confiscation des villas et appartements secondaires des riches ;
  5. révision immédiate des salaires en fonction du minimum nécessaire à une vie décente aux Antilles ?

RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET LES ANTILLES

Mais pour que les travailleurs de la colonie aient des raisons de soutenir le programme commun P.C.-P.S. comme nous y invitent les P.C.M. et P.C.G., il faudrait pour le moins aussi que ce programme s’engage à établir un plan de relèvement économique aux anciennes colonies.

Les partis qui ont signé le programme de gouvernement « d’union populaire » s’engagent-ils :

  1. à reconnaître le droit des anciennes colonies, non pas à une aumône, mais à une répartition des résultats du pillage colonial ;
  2. à fournir :
    – du matériel agricole, des engrais ;
    – des fonds nécessaires au développement de l’agriculture ;
    – à payer professeurs, techniciens et ingénieurs nécessaires à la réorganisation de l’économie aménagée actuellement en fonction des intérêts des capitalistes français.

Tels sont les principaux points sur lesquels les travailleurs antillais jugeront les organisations qui prétendent parler en leur nom et défendre leurs intérêts. Militants des Partis Communistes Guadeloupéen et Martiniquais, sympathisants de ces partis, vous ne pourrez convaincre la population laborieuse des Antilles de soutenir « l’union populaire » que si les partis qui constituent celle-ci prennent au moins des engagements précis dans le programme sur lequel ils demanderont les suffrages des travailleurs aux prochaines élections législative.
L’Étincelle écrivait récemment que « la voie est ouverte pour la liquidation du colonialisme ».
Nous ne croyons pas, quant à nous, que les élections puissent suffire à libérer le peuple travailleur des Antilles de l’exploitation capitaliste et du joug impérialiste. Mais nous pensons, nous aussi, qu’il serait bon que l’ensemble de ce peuple travailleur puisse se regrouper lors des prochaines élections législatives sur un programme représentant ses intérêts et ses aspirations. Mais les représentant réellement. Pourquoi alors ne pas mettre ce programme en discussion publique devant les principaux intéressés, c’est à dire les travailleurs et les paysans pauvres ? Pourquoi ne pas ouvrir le débat parmi les travailleurs dans les entreprises, dans les quartiers, pour que puisse ainsi s’élaborer un véritable programme d’union de tous les travailleurs et de la paysannerie pauvre contre le colonialisme et l’impérialisme français ?

(Combat Ouvrier no. 16 – 19 juillet 1972)