CO N°1 (24 mai 1971) – Les ouvriers du bâtiment nous montrent la voie

Voilà trois mois que les travailleurs du bâtiment de la Guadeloupe sont en grève, voilà trois mois que leur grève est totale, suivie à 100% par les travailleurs, que les chantiers de construction, les petits comme les grands de toutes les entreprises : SOGET-UNITE, STE, Colas, SOTRAGEG, Paumelle et Cie sont déserts.

C’est autour du Syndicat Fraternité Ouvrière que s’est regroupée la majorité des travailleurs. Leurs revendications portent sur : — l’acquisition des 40% de vie chère dont la catégorie des fonctionnaires bénéficie déjà ; — 7,9 % d’augmentation réelle de salaire. Soit au total 47,9% d’augmentation, c’est-à-dire 4,90 F de salaire horaire minimum. Beaucoup de gens, les patrons biensûr, la bourgeoisie, une partie de la petite bourgeoisie de ce pays, certains fonctionnaires, trouvent que les ouvriers sont trop gourmands. Il est fréquent de les entendre dire : « Jamais, dans aucun pays, on n’a vu une telle augmentation de salaire », ou : « Ils demandent trop, les prix augmenteront, principalement les loyers, etc. »

Et même le parti qui se dit communiste, de s’associer à ce concert de critiques et de protestations, lorsqu’il écrit dans « l’Etincelle » du 17 avril : « Qu’on veuille bien nous comprendre, nous pensons profondément que la revendication des ouvriers du bâtiment, 40 % d’augmentation, n’a en soit rien d’excessif, compte tenu surtout du coût de la vie. Mais le problème selon nous, n’est pas là. Il s’agit de savoir s’il est raisonnable de penser qu’il soit possible aux ouvriers du bâtiment d’obtenir d’un coup une telle augmentation et si, s’accrochant par une grève illimitée à une telle revendication, on sert les intérêts de la classe.»

Les dirigeants syndicaux de la CGT quant à eux, tentaient de faire reprendre le travail aux ouvriers au prix de 3,65 F de l’heure. Quant à nous, nous pensons que les travailleurs ont raison de réclamer les 4,90 F, car aucune revendication ouvrière ne peut être démesurée. Les travailleurs ne demanderont jamais trop, car c’est bien avec leur sueur, leur sang, leurs blessures, leurs morts que les patrons de toutes ces sociétés de construction ont toujours leurs assiettes pleines, leurs villas, leurs petits voyages, leur vie de luxe. C’est avec les profits qu’ils font sur le dos des travailleurs que ces messieurs vivent comme des princes. Si les capitalistes diminuaient sur leurs profits pour accorder aux ouvriers du bâtiment leurs 4,90 F, les prix n’augmenteraient pas. Les loyers et autres prix augmentent parce que les patrons ne veulent pas rogner sur leurs profits. Ils pourraient se remplir un peu moins la panse, boire moins de whisky, acheter moins de yachts et faire moins de réceptions somptueuses. Voilà pourquoi les travailleurs ont raison de se battre pour les « 4,90 F » horaires, minimums.

Ainsi, malgré les pressions de toutes sortes, malgré la rapacité des patrons, malgré le quasi-abandondu P.C.G. et de la CGT, les travailleurs du bâtiment tiennent. C’est ainsi que le patronat utilisa, il y aquelques jours, une méthode classique : certaines entreprises telles Quillery – Saint-Maur et Unité expédiaient des lettres aux travailleurs, les invitant à reprendre le travail en toute sécurité, comprenons « sous la protection des képis ».

Malgré ce battage du patronat, une dizaine de travailleurs, à peine, se présentent à l’embauche à la
COLAS et trois à Quillery-Saint-Maur, protégés par les « forces de l’ordre ». Les travailleurs, pris de colère à la vue des képis rouges, abandonnèrent les lieux.

Depuis la mi-avril donc, un processus de répression quotidienne a été entamé contre les travailleurs du bâtiment. Un meeting devant se tenir sur le chantier de Grand-Camp fut interdit par les autorités.Le mercredi 21 avril, Barraut, ouvrier en grève, fut arrêté et passé à tabac dans les locaux de la rue Gambetta. Belson, militant de « Fraternité Ouvrière », fut arrêté pendant une diffusion de tracts puis relâché.

Cette grève prouve la grande combativité de la classe ouvrière guadeloupéenne, survenant après la dure lutte menée par les coupeurs de canne, elle montre que ce sont les travailleurs qui sont à la tête de la lutte en Guadeloupe. Mais on voit aussi que, et les patrons, et les organisations réformistes, veulent prouver aux travailleurs que la lutte ne paie pas. Plus que jamais la classe ouvrière a besoin de son propre parti révolutionnaire, car seul cet instrument lui permettra de répondre aux manigances. Ainsi les patrons tentent d’embaucher du personnel pris parmi les chômeurs, qui représentent comme chacun sait, une importante catégorie de la population en âge de travailler. Et, soutenus par le préfet, ils s’en tiennent à leur misérable aumône de 3,65 F de l’heure sans vouloir entendre parler de la prime de vie chère réclamée par les ouvriers du bâtiment.

Quant aux organisations traîtres C.G.T et C.F.D.T., elles multiplient les manœuvres visant à démobiliser les travailleurs et à leur faire reprendre le travail. Certains de leurs militants n’hésitent pas à jouer le rôle de briseurs de grève. Seule la détermination dont les ouvriers du bâtiment ont fait preuve jusqu’ici pourra réduire à néant toutes ces manœuvres.

En dernière heure, nous apprenons qu’à la demande de l’intersyndicale réunissant C.G.T., C.F.D.T. et « Fraternité Ouvrière », une commission de conciliation réunie à la Direction départementale du Travail et de la Main-d’œuvre a rendu l’arbitrage suivant: — 12,50% d’augmentation plus primes ; — Salaire minimum : 3,75 F de l’heure. Nous ne savons pas, au moment où nous écrivons, la réponse donnée à ces propositions patronales par nos camarades ouvriers du bâtiment.