CO N°1 (24 mai 1971) – A propos des méthodes staliniennes du P.C.G. D’où vient le stalinisme ?

Après les bagarres qui se sont déroulées à Baimbridge et où se sont distingués des membres du
P.C.G., ce dernier a montré une fois de plus que, comme son frère aîné et tuteur, le P.C.F., il
perpétue bel et bien les méthodes de gangstérisme que le stalinisme triomphant avait naguère
introduites dans le mouvement ouvrier.
Comment un parti qui se prétend être communiste peut-il utiliser de telles méthodes à l’égard de
courants qui se réclament aussi du communisme ? Comment un parti qui prétend défendre les
travailleurs peut-il, plus généralement, s’opposer à toute démocratie ouvrière ?
Au fond la réponse est simple. Ce parti qui se dit communiste ne combat plus depuis longtemps
pour la destruction de l’ordre bourgeois, mais pour y avoir une place meilleure. Plus de places de
conseillers municipaux, de conseillers généraux, des responsabilités plus grandes dans la gestion de
la société actuelle, c’est-à-dire la société capitaliste, voilà les objectifs du P.C.G.
Mais si, comme tout parti réformiste, le P.C.G. se contente de réclamer une part plus grande des
miettes du colonialisme, il a une originalité : celle précisément qui consiste à se réclamer encore du
communisme et de la lutte de classe. C’est parce qu’il continue à se parer des couleurs
communistes, parce qu’il apparaît encore devant un grand nombre comme un parti qui aspire à un
changement radical de la société qu’il influence et abuse des milliers de travailleurs.
Il y a un fossé entre ce que le P.C.G. prétend de lui-même et ce qu’il est, entre ce qu’il dit et ce qu’il
fait. C’est précisément parce que sa situation est équivoque, parce qu’il y a une contradiction entre
les aspirations de ceux qui lui font confiance et la politique de sa direction, qu’il craint la discussion
démocratique, qu’il craint les critiques venues de sa gauche et surtout qu’il combat les courants qui
expriment clairement ce que ressentent confusément bien de ceux qu’il influence. Il sait que plus se
développe un courant révolutionnaire parmi les travailleurs, moins il saura abuser ces derniers.
Mais comment le mouvement communiste et dans ce cadre le P.C.F., dont le P.C.G. était une
fédération jusqu’en 1958, en sont-ils arrivés là ? Comment les partis communistes qui, lors de leur
fondation avaient choisi le camp de la révolution russe de 1917, c’est-à-dire le camp du prolétariat
révolutionnaire, peuvent-ils combattre avec tant d’acharnement les idées révolutionnaires ? C’est là
une question capitale à laquelle il est impossible de répondre sans examiner ce qu’est devenue la
révolution russe elle-même. Car le berceau du stalinisme, dont le P.C.G. fait usage, est bien l’Etat
soviétique.
Il faut remonter à la Révolution d’Octobre 1917 et comprendre dans quelles conditions elle s’est
faite, pour comprendre le stalinisme. En effet, la Révolution russe fut la première révolution
prolétarienne victorieuse, mais elle resta aussi la seule, dans un monde qui continua à être dominé
par le capitalisme. Contrairement aux espoirs des Bolchéviks qui dirigeaient la révolution, celle-ci
resta isolée. Toutes les tentatives faites par le prolétariat européen se soldèrent par des échecs.
L’isolement qui s’ensuivit aggrava la situation dans un pays arriéré, aux trois-quarts paysan, saigné
à blanc par les premières années de la guerre (14-18), par les sabotages de la bourgeoisie et par
l’effroyable guerre civile que la Russie dut vivre pour écraser définitivement les classes
possédantes. Au sortir des premières années de la Révolution, la classe ouvrière avait perdu
beaucoup de ses meilleurs éléments, les plus conscients, les plus dévoués. Il en fut de même du parti
bolchévik qui, lui, était l’avant-garde de la classe ouvrière. Parallèlement, sur le plan international,
le prolétariat subit défaites sur défaites. (Allemagne 1918-1923 ; Hongrie 1919). Les jeunes partis
communistes qui, sous la direction des bolchéviks, s’étaient groupés dans la IIIème Internationale,
manquaient d’expérience ou charriaient dans leurs rangs des opportunistes des vieux partis
socialistes qui avaient trahi le prolétariat pendant la première guerre mondiale (les Cachin, Frossard
et autres).
Aucun autre parti de l’internationale ne possédait l’expérience théorique et pratique du parti
Bolchévik. Mais avant que ce dernier ait pu transmettre son expérience à l’ensemble de
l’internationale, la révolution était déjà gangrenée de l’intérieur. La bourgeoisie n’avait pu abattre
l’Etat ouvrier, mais celui-ci allait subir de graves déformations. En effet, le prolétariat russe, décimé
et privé de ses éléments les meilleurs par une longue guerre civile, s’est retrouvé isolé dans un pays
pauvre où il était largement minoritaire. Affaiblies, démoralisées, confrontées aux problèmes graves
de l’existence quotidienne, dans un pays au bord de la famine, les masses ouvrières perdirent
progressivement le goût d’exercer le pouvoir et de s’occuper des affaires de leur Etat. Les
catégories qui occupaient des fonctions dans les rouages de l’appareil d’Etat se substituaient
progressivement, au nom du prolétariat, au prolétariat lui-même dans l’exercice des fonctions
étatiques. Grâce à ces fonctions, elles s’arrogeaient d’odieux privilèges face à la misère générale, et
pour préserver ces privilèges, elles cherchèrent à écarter toute possibilité de contrôle démocratique
de la part des ouvriers. Après la période d’ascension, c’était le reflux de la révolution. A la
hardiesse, à la clairvoyance révolutionnaire devaient succéder la pusillanimité, l’étroitesse de la
pensée politique des couches de bureaucrates. La bureaucratie, tout en se parant des couleurs du
communisme, accomplissait sa tâche réactionnaire. Et sa montée au pouvoir fut facilitée dans la
mesure où elle trouva, au sein des fractions les plus conservatrices du parti bolchévik, d’anciens
révolutionnaires pour lui servir de porte-parole. Staline et sa faction jouèrent ce rôle. Le secrétaire
général du parti, que Lénine stigmatisait déjà quelque temps avant sa mort, comme étant brutal, peu
loyal, devait se distinguer par la lutte qu’il mena contre l’opposition de gauche, groupée autour de
Trotsky. C’est de cette époque (années 1923 à 1929) que datent les méthodes qui fleurirent depuis
lors dans l’ensemble des partis communistes : coups, injures, calomnies, faux, etc., etc. Tout ce qui
se trouvait à la gauche des staliniens devait disparaître. Les staliniens ne confrontaient pas leur
politique aux autres, mais éliminaient leurs adversaires par des méthodes dignes de l’inquisition
(procès de Moscou en 1936), et du gangstérisme (assassinat de révolutionnaires espagnols, de
Trotsky en 1940).
Le but de ces méthodes était clair : il fallait empêcher physiquement la formation d’une direction
prolétarienne révolutionnaire. Dans l’ensemble de l’internationale, se parant de l’auréole du parti
bolchévik, usurpant la confiance due au rôle de ce parti dans la révolution, bénéficiant du prestige
acquis par la Russie nouvelle dans les masses, les staliniens purent éliminer de tous les partis
communistes les vrais révolutionnaires et confier la direction de ces partis à un personnel
soigneusement trié par Moscou sous l’oeil vigilant de Staline lui-même. Voilà qui explique, en partie
seulement, évidemment, le comportement et la nature de partis comme le P.C.G. Ceux-ci en paroles
sont communistes, mais en fait sont des réformistes toujours prêts à faire amende honorable devant
la bourgeoisie. Les derniers événements de ces jours-ci ne sont pas là pour nous démentir. C’est tout
cela qui explique la haine farouche des dirigeants de ces partis pour toute formation qui semble
proposer, où propose réellement une politique révolutionnaire à la classe ouvrière.
Claude ROCHA