La dernière campagne électorale pour les élections régionales et départementales en Guadeloupe a fait ressurgir la question du changement de statut. Les projets nationalistes, autonomistes ou régionalistes de certains candidats ne sont pas restés sans écho.
La liste « Nou » conduite par Ronald Selbonne et constituée d’organisations nationalistes, autonomistes et indépendantistes arrive en troisième position avec un bon score de 9,4% des suffrages devant neuf autres listes.
Pour beaucoup, ces résultats sont une surprise, la question de l’autonomie vis-à-vis de la France est dans l’air du temps.
Nous sommes loin des années 60-70 et de la répression de l’État français contre les militants indépendantistes antillais. L’état colonial a changé de langage à ce sujet depuis plusieurs années en admettant des changements de statut à la carte dans les outre-mer pouvant aller jusqu’à l’autonomie.
Bien des notables, liés aux partis traditionnels de droite et de gauche se sentent donc aujourd’hui autorisés par l’État français lui-même à rechercher des solutions de sortie du strict statut de département français.
Dans les années 2000, l’État a organisé des référendums sur l’évolution du statut des départements d’Outremer
Les îles du nord : Saint Martin ou saint Barthélemy ont opté pour statut de collectivité ou de PTOM (pays et territoires d’outremer) et sont sorties du strict cadre départemental liés à la Guadeloupe.
En Guadeloupe et en Martinique, lors du référendum de décembre 2003, la population avait refusé de passer au statut de « communauté d’outre-mer » conférant une certaine autonomie et notamment la possibilité de voter certaines lois. Le « non » fut massif en Guadeloupe (72,98 %) et majoritaire en Martinique (50,48 %).
En janvier 2010, les électeurs de Martinique rejetèrent l’autonomie institutionnelle mais approuvèrent à 68,30 % la création d’une collectivité unique exerçant les compétences d’un département et d’une région. La CTM (collectivité territoriale de Martinique) était née. Elle remplaçait les deux assemblées : conseil régional et conseil général. Il s’agissait en fait d’un bricolage administratif n’offrant pas vraiment plus de pouvoir local, dont aucun pouvoir légis-latif même limité.
Quels changements la CTM a-t-elle opérés dans la vie des masses pauvres et laborieuses de Martinique ? Aucun changement notable ! Par contre, les possédants locaux ont pu bénéficier comme avant de l’argent public versé par cette collectivité.
Ces institutions « à la carte » ne sont pas faites pour les travailleurs et les plus pauvres mais pour la bourgeoisie et les notables locaux. Ceux qui dirigent ces institutions ne s’adressent pas aux travailleurs. Pire, ils sont contre les travailleurs qui se battent. Pour ne prendre qu’un seul exemple, en 2018, lors de la grève des agents contractuels de la CTM, mobilisés contre la fin de leur contrat, Alfred Marie-Jeanne et son équipe avaient eu une attitude méprisante envers les grévistes.
Il existe une large gamme de changements de statut « à la carte » possibles. Mais les dirigeants de ces régions, que ce soit en Guadeloupe, où rien n’a encore changé sur le plan du statut jusqu’à présent, ou dans celles ayant obtenu un statut modifié comme Saint Martin, Saint Barth ou la Martinique, ne sont en réalité que des auxiliaires de l’impérialisme français.
Il est certain que dans les prochaines années, de nouveaux changements de statut seront opérés aux Antilles françaises. De nouveaux référendums auront lieu. De nouveaux bricolages administratifs se feront. Le balancier bougera encore peut-être jusqu’à une autonomie plus large, voire une indépendance en douceur du genre des « self government » liés à la couronne britannique qui existent dans la caraïbe anglophone.
Ce n’est pas cela que craignent l’impérialisme français et les notables liés aux partis de gouvernement en France, de droite et de gauche ou membres de ces partis. Tant que l’impérialisme français et ses alliés locaux gardent le contrôle de cette région, pour les profits des grandes sociétés capitalistes, aucun changement ne les effraie.
Ce qu’ils craignent c’est bien plus la fin du statut quo social qui mettrait à mal les possédants, la bourgeoisie et les classes dominantes locales. Autrement dit, ce qu’ils redoutent ce sont les luttes ouvrières et celles des couches populaires qui pourraient faire émerger une nouvelle force politique provenant de ces classes dominées.
Ce sont elles qui pourraient troubler le jeu tranquille de l’impérialisme français et des notables et possédants locaux.
C’est pourquoi, pour ne pas être les laissés-pour-compte de changements qui donneraient plus de pouvoir aux notables locaux, les travailleurs et les pauvres ont intérêt à construire leur propre organisation politique indépendante de tous les notables confirmés et de ceux qui comme les nationalistes aspirent à le devenir.
Ainsi, les travailleurs et les couches populaires opprimées pourront-ils faire valoir leurs exigences. La première d’entre elles étant leur propre représentation politique issue de leurs luttes sur le terrain. Ensuite pourront-ils imposer leurs exigences en matière d’emplois, d’augmentation des salaires, de contrôle sur l’argent public et les comptes des entreprises, sur la terre et tout ce qui est nécessaire à améliorer leur vie quotidienne (coût de la vie, transports, eau, déchets, etc.)
Mais une autonomie ou une indépendance des notables et des possédants sous le contrôle de l’impérialisme français ne changera rien au sort des travailleurs et des pauvres.