Après son assemblée générale fondatrice le 30 janvier 2022, l’Alyans Nasyonal Gwadloup (ANG) a tenu son premier congrès le 10 juillet dernier.
Les membres de ce parti se définissent comme « des nationalistes et des patriotes guadeloupéens ». L’ANG s’est fait connaître en menant la liste « Nou » lors des élections régionales de juin 2021 où elle a obtenu un score important de 9,39 % des suffrages.
Les militants de Combat ouvrier ont déjà mené des actions communes avec l’ANG comme avec d’autres organisations nationalistes. Depuis décembre 2020, nous faisons partie du Kolektif Gwadloup kont vyolans a jandam pour réclamer justice pour Claude Jean-Pierre dit Klodo, décédé en décembre 2020 suite à une interpellation violente par des gendarmes à Deshaies. Plus récemment, l’ANG, CIPN, FKNG et Combat ouvrier ont organisé une manifestation commune contre l’extrême-droite lors de la venue en Guadeloupe de Marine Le Pen, dirigeante du Rassemblement national, le 27 mars dernier.
Dans son rapport d’orientation, l’ANG déclare : vouloir « sortir la Guadeloupe du statut d’assimilation » […] « Il faut absolument, et dans les meilleurs délais, que la Guadeloupe soit dotée d’une spécificité législative lui permettant de voter et de choisir les lois qui soient bénéfiques à la préservation de sa terre et de son peuple… ».
C’est un projet d’évolution statutaire que défend l’ANG « pou konstwi Gwadloup ».
Pour notre part, ce n’est pas contre le projet que nous nous élevons, mais pour « construire quelle Guadeloupe » ?
Car il y a au moins deux Guadeloupe. Il y a d’un côté la Guadeloupe des békés, des riches, des capitalistes, les Hayot, Despointes, Blandin, Gaddarkhan, Luce et d’autres possédants noirs et indiens qui s’enrichissent sur le dos des travailleurs et de la population et il y a la Guadeloupe des travailleurs, des exploités, des pauvres, des chômeurs, des jeunes des quartiers pauvres…
Or on ne voit pas dans le projet institutionnel de l’ANG la place particulière et encore moins dominante des travailleurs et des couches populaires pauvres.
Dans son rapport, l’ANG décrit, chiffres à l’appui, la pauvreté en Guadeloupe et dénonce les inégalités sociales en écrivant « yonn ka vwè mizè, mé lòt-la pa sav ka pou i fè épi lajan a-y » (pendant qu’il y a la misère, l’autre ne sait pas quoi faire de son argent). L’ANG reconnaît donc les inégalités de classes. Mais quelles conclusions en tire-t-elle ? Qu’il faut « konstwi Gwadloup » « construire la Guadeloupe ». Où est la place des travailleurs et des pauvres ?
Si demain, la Guadeloupe accède à un nouveau statut, les riches capitalistes locaux et les actionnaires des multinationales seront-ils moins rapaces ? Est-ce qu’un Hayot, grand capitaliste béké, arrêtera d’exploiter ses salariés ?
Bien sûr que non. Il est même très probable que les Hayot et autres grands patrons trouvent leur compte dans ce nouveau statut.
Une autonomie au service de qui ?
L’ANG écrit : « Notre combat exige que nous investissions la sphère économique ».
Laurence Maquiaba l’une des porte paroles de l’ANG déclarait au « Progrès social » dans la foulée du congrès : « L’ANG propose de développer une économie sociale et solidaire pour sortir de cette économie de pwofitasyon. L’une des actions fortes est de monter un fonds d’investissement pour que les entreprises guadeloupéennes travaillent ensemble. Nous avons commencé à créer des petits réseaux d’entreprises qui se mettent en place progressivement ».
Ce programme n’est donc pas un programme pour les travailleurs, mais au mieux pour la petite bourgeoisie, au pire pour la bourgeoisie.
Aujourd’hui, la domination capitaliste fleurit sous l’œil bienveillant de l’État français avec pour relais des élus locaux. Demain la domination capitaliste pourra très bien fleurir sous l’œil bienveillant d’une région autonome voire plus tard d’un État guadeloupéen dirigé par des notables locaux alliés du grand patronat.
Le capitaliste guadeloupéen Bruno Blandin a pris ouvertement position pour l’autonomie de la Guadeloupe. En réalité, ce que certains patrons comme Blandin voudraient c’est pouvoir avoir les mains plus libres pour faire du profit. Ils trouvent le code du travail français trop contraignant. Ils auraient préféré avoir une assemblée locale qui puisse décider de rogner encore plus les droits des salariés et de diminuer les obligations des patrons. Ils voudraient aussi tirer les salaires vers le bas en imposant un « salaire minimum régional», afin d’aligner les salaires au même niveau que nos voisins de la Caraïbe, là où les salaires sont beaucoup plus faibles.
Dans les ex-colonies d’Afrique et de la Caraïbe aujourd’hui indépendantes, une bourgeoisie locale, ainsi que les privilégiés corrompus des cercles dirigeants du pouvoir, vivent grassement au détriment d’une population pauvre et sous développée. Et en filigrane, la domination impérialiste des ex-métropoles (France, Angleterre…) est omniprésente pour continuer de piller les ressources de ces pays.
Pour l’émancipation des travailleurs et des masses pauvres !
À Combat ouvrier, nous ne raisonnons pas en fonction de la « nation » mais en fonction des classes sociales car dans la société capitaliste actuelle, la bourgeoisie capitaliste domine et exploite la majorité de la population, quelle que soit l’origine des uns et des autres.
C’est ce qui nous oppose fondamentalement aux nationalistes.
Nous sommes communistes révolutionnaires, pour la défense des intérêts des travailleurs jusqu’à leur terme ultime : la révolution pour exproprier les capitalistes et pour que les travailleurs et les pauvres prennent le pouvoir économique et politique.
La classe ouvrière, la classe des travailleurs salariés, est la seule capable de s’opposer fermement à la bourgeoisie et renverser le système capitaliste. Car la classe ouvrière est au cœur du système de production : c’est elle qui par son travail enrichit les capitalistes. Si demain elle arrête de travailler, il n’y a plus de profits.
Si demain les travailleurs prennent eux-mêmes la tête d’un mouvement autonomiste ou indépendantiste, Combat ouvrier soutiendra ce mouvement et défendra l’idée que les masses peuvent aller plus loin et renverser le capitalisme pour construire de nouvelles bases sociales. Car l’autonomie ou l’indépendance vis-à-vis de la France ne signifiera pas la fin de l’exploitation.
Tant que la bourgeoisie existera en tant que classe dominante, les exploités garderont leurs chaînes. Même si cette bourgeoisie est aux couleurs locales.
Du mouvement ouvrier combatif devra sortir une organisation révolutionnaire, de classe et indépendante. C’est une condition indispensable pour que les travailleurs et les classes populaires changent eux-mêmes leur sort.
Si les travailleurs parviennent à s’imposer par leurs luttes sur la scène politique, s’ils ne laissent pas le pouvoir aux seuls notables et aux possédants, ils pourront marquer des points vers leur émancipation du pouvoir capitaliste et des séquelles coloniales, quel que soit le statut politique.
C’est pour une telle émancipation que militent les communistes révolutionnaires de Combat ouvrier en Martinique et en Guadeloupe.
L’unité dans l’action
Le programme communiste révolutionnaire et le programme nationaliste ne sont pas conciliables. Il ne pourra jamais y avoir d’entente sur le fond programmatique entre nous et les nationalistes.
Par contre, et particulièrement dans un pays comme le nôtre, dominé, vassalisé, sujet au racisme, au mépris, aux discriminations de toutes sortes, il y a bien des actions ponctuelles et utiles à mener ensemble. Que ce soit contre les violences policières (affaire Klodo), contre l’extrême-droite, contre la répression anti syndicale et politique qui frappe les militants nationalistes et d’extrême-gauche, contre tel ou tel méfait du colonialisme, contre la politique d’oppression générale de l’impérialisme français, bref, les causes sont nombreuses. Nous avons toujours pratiqué l’unité d’action avec tous ceux qui veulent agir dans ce cadre-là et dans le respect de la diversité d’opinion et l’indépendance de chaque composante de cette unité d’action. Nous serons toujours prêts à agir avec l’ANG, de manière ponctuelle et si la cause en vaut la peine. Nous avons toujours agi de la sorte avec le Parti communiste guadeloupéen, le CIPN (Comité international des peuples noirs), le FKNG, (Fòs pou konstwi nasyon gwadloup) l’UPLG, (Union populaire pour la libération de la Guadeloupe) le LKP (Lyannaj kont pwofitasyon) ou le CIPPA (Comité d’initiative pour un projet politique alternatif).