CO N°1306 (6 mai 2023) – Chlordécone : dossiers « disparus » opportunément ?

Une excuse expliquait le non-lieu prononcé par les juges du pôle santé du tribunal de Paris en janvier 2023 pour les dangers du chlordécone pour la santé : « on ne savait rien en 1981 ! ». Ces juges signalent « l’ignorance des pouvoirs publics, des administratifs et des politiques ».

Pourtant en 1975 les États-Unis, fermaient l’usine qui fabriquait du chlordécone en Virginie, elle avait pollué tout l’environnement et détruit la santé de ses ouvriers. Les planteurs békés ont utilisé ce poison de 1972 à 1993 afin d’éliminer l’insecte charançon des bananiers. Ils le font fabriquer sous le nom Curlone, et ouvriers et ouvrières de la banane vont le manipuler sans gants et sans masque.

Un rapport présenté en 1977 par l’INRA et le rapport de Kermarec en 1980 établissaient le lien entre « une pollution environnementale des sols et des eaux et l’utilisation du chlordécone dans les plantations ». Dès 1979, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classe cette molécule comme « cancérigène possible ». Dernière nouvelle : plusieurs études scientifiques sur les dangers de cette molécule pour la santé avaient disparu ! Nous présentons ici les résultats de l’enquête de Radio France sur ces disparitions.

Deux types de dossiers sont exigés avant la mise en vente d’un produit, l’un sur son efficacité, l’autre sur sa toxicité. Quand les plaintes sont déposées en 2008, les dossiers réalisés par une commission des toxiques manquent pour l’enquête judiciaire : rien entre 1972 et 1989 ! Le ministère de l’Agriculture sollicité se montre très réticent à donner des informations. Grâce à quelques personnes ayant participé aux commissions il n’y a « plus que » 8 ans d’archives disparues et l’on apprend qu’en juin 1981 « l’OMS venait de classer la chlordécone comme cancérigène possible pour l’Homme ». Mise en garde restée lettre morte comme précise l’enquête de Radio France avec le témoignage d’une toxicologue : « il n’y avait pas de controverse scientifique sur le sujet ».

Le dernier crime se lit dans cette enquête de Radio France : « le Journal officiel ne fait apparaître parmi les membres de la commission des toxiques, que des chercheurs indépendants et des agents de l’État. Or, dans certains comptes-rendus que nous avons pu consulter, nous avons découvert que plusieurs membres de l’Union de l’industrie des produits pesticides étaient présents. Selon Isabelle Plaisant, ils ont même participé aux votes de la commission. Ont-ils orienté les débats en dépit des connaissances scientifiques déjà très avancées à l’époque ? ».