CO N°1319 (13 janvier 2024) – La puissance financière de l’esclavage pour la bourgeoisie

« Au Lloyd’s, marché britannique de l’assurance, une plongée dans les archives de l’esclavage » par Eric Albert (Londres, correspondance). Ci-dessous des extraits. Les textes en gras sont nos commentaires.

Cette publication du journal Le Monde fait revivre le passé honteux de l’esclavage. Nous pensons que nos lecteurs y trouveront intérêt. Il s’agit d’un véritable dossier sur les assurances que prenaient les esclavagistes lors de l’odieux transport maritime d’Africains vers les colonies de France, d’Angleterre, de Belgique et les États-Unis. Il y avait de grosses fortunes en jeu et des risques de pertes financières tout aussi grosses. Les planteurs se sont rendus en Angleterre pour signer des contrats d’assurance avec le Lloyd’s.

Nous citons :

C’est le résultat d’une enquête : « L’institution financière a ouvert ses archives, révélant l’ampleur de sa responsabilité dans l’esclavage et l’importance de ce « commerce » pour le développement de l’économie britannique ».

Plus loin dans le texte, la relation entre assurance et esclavage sera présentée clairement sous le titre : L’esclavage, clé du développement de la finance.

Nous citons :

Le travail autour des archives du Lloyd’s fait partie d’une prise de conscience plus large parmi les historiens du poids de l’esclavage dans le développement de la Grande-Bretagne des XVIIe et XVIIIe siècles. Non seulement l’argent des colonies aide la croissance, mais il a aussi profondément changé le fonctionnement du capitalisme, en particulier à la City. « La relation allait dans les deux sens : la finance a très largement stimulé le trafic d’esclaves, mais le trafic a aussi apporté des innovations dans la finance » explique Pat Hudson, professeure émérite à l’université de Cardiff.

Dans le texte ci-dessous, des détails sur les relations entre esclavagistes et assureurs concernent le traitement des esclaves, véritables marchandises. Quelques passages sont glaçants.

Nous citons :

Le document est plus jauni d’un côté que de l’autre mais très bien conservé. Il s’agit d’un formulaire administratif à l’ancienne, pré-imprimé, avec des espaces vides à remplir. Un jour d’août 1794, Fermin de Tastet est entré dans le bâtiment du Royal Exchange, au centre de la City, pour négocier l’un de ces contrats d’assurance types. Rien de plus banal pour ce riche marchand espagnol basé en Angleterre.

Son confrère Sebastian de Lasa y Irala, qui vit alors à la Havane, lui a demandé de s’occuper de couvrir les risques du Guipuzcoa, une frégate accostée à Liverpool, qui doit partir pour les côtes africaines et transporter des « marchandises » jusqu’aux Antilles. Seule particularité : il s’agit d’esclaves.

Fermin de Tastet a vraiment bien travaillé. « Au nom de Dieu, Amen ! » comme débute le contrat, un accord est trouvé. Une vingtaine d’assureurs se sont rassemblés pour couvrir les risques. Le navire est assuré à hauteur de 3 800 livres, soit 450 000 euros d’aujourd’hui. « Les esclaves sont valorisés 45 livres chacun » précise une note écrite à la main. Soit environ 5 000 euros actuels. Le nombre d’esclaves transportés, bien qu’incertain, est estimé autour de trois cents.

Preuve que le secteur de l’assurance était déjà bien développé, tout était prévu, même le plus glaçant des détails. En cas de mort d’un esclave à la suite d’une rébellion, sa valeur était assurée, au-delà d’une tranche de 5 %. Si la mort se déroulait sur l’un des canots utilisés pour transporter les hommes entre le bateau et la terre ferme, un lieu jugé plus risqué, la franchise passait à 10 %. La « guerre », le « piratage » et la « bar-barie » (mauvaise conduite de l’équipage) étaient couverts.

En revanche, une « simple » mort naturelle sur le bateau, notamment de maladie, était exclue de la police d’assurance, parce qu’elle était trop commune. Selon l’estimation de la base de données Transatlantic Slave Trade qui détaille le transport des 12,5 millions de personnes victimes de la traite humaine transatlantique, 12,2 % des esclaves sont morts pendant la traversée. L’hécatombe était d’une telle ampleur que les risques étaient trop élevés pour les assureurs.