CO N°1327 (4 mai 2024) – Mois de mai, mois de grandes luttes !

Le mois de mai est marqué par de grands évènements et des luttes menées par les classes laborieuses esclaves ou ouvrières. L’esclavage fut théoriquement aboli une première fois en 1794 en Guadeloupe à la suite de la Révolution française de 1789 et des luttes des esclaves. L’abolition ne fut pas appliquée en Martinique, les colons de cette île ont préféré passer sous domination de la couronne d’Angleterre plutôt que d’abolir l’esclavage.

L’histoire fait un clin d’oeil particulier au mois de mai en Guadeloupe avec les dates des 26, 27 et 28 mai qui se répètent en mai 1802, mai 1848 et mai 1967 !

Mai 1802 en Guadeloupe   

En 1799, Napoléon Bonaparte arrive au pouvoir en France et décide de rétablir l’esclavage dans les colonies de Guadeloupe et, sans succès, dans la partie française de l’île de Saint-Domingue, l’actuelle Haïti.

Après l’abolition de 1794, il n’y avait pratiquement plus de gros propriétaires Blancs en Guadeloupe. Ils ont été guillotinés ou ont fui en Martinique occupée par les Anglais. Les Noirs étaient libres.

Les troupes de Napoléon, menées par le général Richepance, débarquent à Pointe-à-Pitre le 6 mai 1802 et à Basse-Terre le 16 mai 1802.

Louis Delgrès, Joseph Ignace, Massoteau, Noël Corbet et d’autres officiers noirs se rebellent. Ce sera alors la guerre pour empêcher le retour de l’esclavage. Les femmes aussi prennent part à cette bataille. Les plus connues dont les noms sont restés dans l’histoire sont la Mulâtresse Solitude, enceinte à ce moment-là, et Marie-Rose Toto.

Le 25 mai, Ignace et ses troupes engagent la bataille à Baimbridge, aux Abymes. Ils sont vaincus et Ignace se tire une balle dans la tête en disant : « Vous n’aurez pas l’honneur de me prendre vivant ». Les survivants sont fusillés au lieu-dit Fouillole, là où est érigée l’actuelle Université des Antilles.

Sur la Basse-Terre, après des batailles acharnées dont une partie avait eu lieu dans l’actuel Fort Delgrès occupé par les rebelles, Louis Delgrès et d’autres survivants, cernés, décident de quitter le fort discrètement et de rejoindre Matouba à Saint-Claude. Le 28 mai, ils se feront sauter au cri de « Vivre libre ou mourir !» à l’habitation D’Anglemont qu’ils avaient dynamitée. Une partie des troupes de Richepance en ont fait les frais.

Pendant de longs mois les troupes de Bonaparte ont poursuivi les « nèg mawon », les rebelles, dans les bois. Une répression impitoyable a jalonné ces mois sanglants. Ceux qui ont survécu aux combats dont la Mulâtresse Solitude furent condamnés et exécutés. Elle fut d’abord emprisonnée pendant le reste de sa grossesse puis accoucha et fut exécutée le lendemain, le 29 novembre 1802. Elle avait 30 ans.

L’héroïsme de tous ces rebelles a été sans conteste face à des troupes napoléoniennes mieux armées et plus nombreuses.

22 et 27 mai 1848 : en Martinique et en Guadeloupe les esclaves ont brisé eux-mêmes leurs chaines

Le 22 mai, l’esclave Romain est arrêté et emprisonné pour avoir joué du tambour. Son arrestation déclenche des manifestations de colère. C’est ainsi qu’il est libéré le jour même. Malgré sa libération, les esclaves continuent à manifester. Une milice esclavagiste ouvre le feu sur la manifestation et fait plusieurs morts. Une insurrection se déclenche alors à Saint-Pierre et se répand dans l’île. Les esclaves en colère s’attaquent aux maîtres les plus cruels. Le 23 mai, le gouverneur Rostoland décrète l’abolition. Le décret d’abolition officiel n’arrive qu’au mois de juin. Les esclaves ont eux-mêmes brisé leurs chaines sans attendre sur qui que ce soit !

En Guadeloupe, depuis quelques années, les esclaves ne se soumettaient plus. Ils étaient au bord de la révolte ouverte. Ils organisaient des départs groupés des plantations ou de l’île. Le climat insurrectionnel contraignit le gouverneur Layrle à abolir l’esclavage le 27 mai 1848, comme l’avait fait avant lui celui de la Martinique.

Commémorer les 22 et 27 mai 1848, ce n’est pas pleurer sur ce qu’ils ont vécu. C’est se rappeler que les exploités de l’époque se sont battus contre l’injustice. C’est prendre exemple sur de grandes luttes passées pour renforcer les luttes d’aujourd’hui et de demain dans ce système capitaliste.

Les esclaves d’aujourd’hui sont les travailleurs, la classe ouvrière. L’esclavage moderne est perpétué par la classe capitaliste blanche, békée, noire, mulâtre, asiatique, contre les travailleurs de Martinique et de Guadeloupe, et dans le monde entier. Tout comme les esclaves d’antan, les travailleurs d’aujourd’hui n’ont rien d’autre à perdre que leurs chaînes en renversant ce système capitaliste

C’est par la grève générale, l’insurrection des masses conscientes que ce sera possible. Une insurrection comme celle du 22 mai 1848 mais dirigée par les esclaves modernes, les travailleurs d’aujourd’hui, jusqu’à la révolution sociale.

Mai 1967 en Guadeloupe      

Le 24 mai 1967 a démarré une grève des ouvriers du bâtiment. Ils revendiquaient 2 % d’augmentation de salaire.

Le 26 mai, ils étaient réunis sur la Place de la Victoire avec des jeunes, devant la chambre de commerce à Pointe-à-Pitre pour négocier. Le représentant des patrons Georges Brizzard aurait alors déclaré : « Quand les nègres auront faim, ils reprendront le travail ! ». Des affrontements commencèrent entre les ouvriers et les gendarmes venus évacuer Brizzard. Les gendarmes lancèrent des grenades lacrymogènes, ils chargèrent à coups de matraques et à coups de pieds… Les ouvriers répliquèrent à coups de pierres, de bouteilles et de conques de lambi. Dans l’après-midi, les gendarmes ouvrirent le feu. Ils tirèrent sur les manifestants rassemblés sur la Place de la Victoire.

Jacques Nestor, militant nationaliste du GONG (Groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe) fut ainsi abattu d’une balle en plein ventre. S’ensuivirent des heures et deux jours de massacre dans les rues de Pointe-à-Pitre et des Abymes. Les gendarmes tiraient sur tout ce qui bougeait dans les rues.

Officiellement il y eu huit morts mais les témoins affirment qu’il y en a eu bien plus. Le gouvernement a caché le lourd bilan de la répression : il y eut certainement plusieurs dizaines de morts ainsi que des dizaines de blessés.

Pendant ces journées, des jeunes et des travailleurs se sont armés contre les gendarmes. Ils ont cassé une armurerie pour récupérer des armes. Des gendarmes furent grièvement blessés.

Le 30 mai, les patrons ont fini par signer une hausse de salaire de 25 %. Il aura fallu une émeute armes en mains et des morts pour cela.

L’explosion sociale de mai 1968 en France

Le mois de mai, synonyme de luttes aux Antilles françaises, rappelle aussi la grève générale de mai 1968 en France. Il y eut un mouvement dont les secousses se firent ressentir longtemps après, ce fut la grève ouvrière.

En France, dans les années 1960, la classe ouvrière subissait une série d’attaques. Les cadences augmentaient, les bas salaires se maintenaient, le chômage refaisait surface, menaçant des milliers d’ouvriers de licenciements. Ces attaques déclenchèrent des grèves importantes.

La jeunesse quant à elle, était révoltée par la situation internationale et contre la politique du général de Gaulle. La guerre d’Algérie, du Vietnam, l’oppression coloniale en Afrique, aux Antilles… étaient autant d’évènements qui attisaient la contestation dans le monde. Elle se révoltait aussi contre les conventions et autres interdictions et règlements de toutes sortes dont elle se sentait victime dans les familles, les écoles, lycées et les universités.

C’est dans ce contexte que les étudiants amorcèrent un mouvement de contestation à Nanterre en 1968. Le 3 mai les étudiants occupèrent l’université de la Sorbonne. La répression policière ne tarda pas et les étudiants ripostèrent. L’affrontement se poursuivit les jours suivants jusqu’à la symbolique nuit d’affrontement du 10 mai, la « nuit des barricades » à Paris.

La crise étudiante était devenue une crise politique nationale et l’opinion publique basculait en faveur de la jeunesse. Il y eut un effet de contagion parmi les jeunes travailleurs.

Les ouvriers débutèrent les grèves le 13 mai. À partir de là, la grève ne cesse de se répandre. Les syndicats suivent. Les jours suivants, elle devient quasi générale et touche tous les secteurs. Des centaines de milliers de travailleurs à la chaîne, les dockers et même les footballeurs ! Plus de 800 usines sont occupées par leurs ouvriers en grève. Le 21 mai, le pays est paralysé, 10 millions de travailleurs sont en grève.

Les dirigeants des syndicats craignirent d’être débordés par la tournure des évènements et ont cherché à contenir le mouvement.

Le gouvernement comprend rapidement l’attitude de ces chefs syndicaux, il comptera justement sur leur appui pour mettre fin au mouvement.

C’est ce qu’ils firent avec les accords de Grenelle signés le lundi 27 mai 1968. Les clauses ne soulageaient que peu la vie des travailleurs : des promesses de discussions sur les conditions de travail, le minimum vieillesse. Les ouvriers durent systématiquement, après la grève de mai-juin 1968 poursuivre la lutte dans les entreprises pour imposer le respect de certains accords. La grève de mai et juin 1968 fut l’une des plus importantes grèves générales que connut la classe ouvrière en France. Ce mouvement d’envergure arracha tout de même l’augmentation de 35 % du salaire minimum. De nombreux jeunes furent éveillés à la vie politique et aussi aux idées révolutionnaires en raison de « Mai 68 ». Les grèves n’allaient pas non-plus s’éteindre à la signature du premier accord.

La démonstration de force des travailleurs en mai 1968 manqua pourtant d’un parti ouvrier révolutionnaire. Il a manqué une avant-garde ouvrière proposant l’expropriation du capital, l’organisation et la prise en main collective du pouvoir par les travailleurs.