CO N°1337 (9 novembre 2024) – Haïti – La vie des habitants dans les quartiers, sous la griffe des gangs

La capitale, Port-au-Prince est presque entièrement occupée par les gangs. Partis du bord de mer, ils ont progressé méthodiquement quartiers par quartiers, occupé le terrain après avoir tué, pillé, brûlé.

Les habitants rescapés et qui n’ont pas réussi à fuir sont obligés de vivre sous l’administration de ces bandits. Ceux-ci organisent de fait un État dans l’État avec lequel composent les politiciens et la police qui n’arrivent pas à les déloger.

Les quartiers sont quadrillés, et partagés entre une dizaine de gangs qui ont passé un contrat entre eux pour éviter de s’entretuer et surtout pour l’entraide en cas d’attaques de l’armée ou autre mission de « sécurité ». Cette association de gangsters a pris le nom de « vivre ensemble » !

Et ils vivent ensemble sur le dos de la population ! Qu’ils terrorisent, utilisent comme bouclier humain face à la police. Dans leur but, il y a la conquête complète de la capitale, la marche en avant vers cet objectif provoque des massacres lors de l’occupation d’un quartier. Les habitants fuient vers les mornes, mais les gangs de plus en plus outillés, de plus en plus organisés, avancent méthodiquement vers les quartiers des hauteurs. Les barrières métalliques que quelques nantis mettent au travers de routes pour protéger leur résidence n’offrent aucune garantie.

La surveillance est la base du maintien de la population sous la coupe des gangs. Sur les routes, il faut franchir des postes de péage. Ainsi sur la route du nord à une heure de Port-au-Prince se trouve la ville de Canaan, pour y arriver il faut franchir deux péages.

Chaque entrée de la ville est surveillée par un poste de garde, avec des soldats équipés assis sur des chaises et d’autres sur une moto à proximité avec des téléphones pour la liaison avec la base. Ce que subissent ceux qui y habitent reflète ce qui se passe dans d’autres quartiers sous l’emprise des gangs.

Dans chaque ruelle, chaque bloc d’habitation il y a une « antenne », jeune garçon ou fille chargé de surveiller et de rapporter à son « autorité » l’ambiance de la rue, les déplacements des gens, ou tout autre fait divers. N’importe qui peut aussi être une antenne, un vieillard sur un fauteuil ou une marchande vendant quelques légumes, accroupie sur le sol. Personne n’est à l’abri d’une délation. Les maisons abandonnées sont repérées par les « antennes », dépouillées de tous les objets et détruites ou occupées par des membres du gang.

Le gang a la mainmise sur tout, les camions d’eau, de marchandise, de nourriture. Ils ont aussi créé un « hôpital ». Une vaste résidence sur le morne a été équipée avec tous les matériels récupérés dans l’hôpital de la zone qui a été pillé et brûlé par le gang de Jef. Dans cet hôpital, des médecins dont les cliniques ont été brûlées sont employés pour prendre en charge des blessés par balles, réaliser des interventions chirurgicales ou des soins médicaux usuels.

Le racket est organisé sur chaque commerce, marchande, ou motocyclette sortant de la zone. Chaque habitant doit s’acquitter du péage. À cela s’ajoute le risque d’être en face d’un « soldat » qui ce jour-là a envie de montrer son autorité et vous prend à partie en demandant de donner ce que vous possédez. Cela peut aussi se terminer par une balle dans la tête, bien qu’il existe une discipline chez les « soldats » qui désobéissent ou surpassent les ordres de leurs supérieurs. La sanction peut aller de la mutilation par balle dans les pieds, dans les mains, jusqu’à l’exécution.

Malgré la pression du gang les habitants trouvent le ressort pour survivre, trouver de quoi nourrir la famille, soigner les maladies liées à la promiscuité, l’eau insalubre. Certains essaient de fuir mais les gardes veillent, on ne peut pas sortir de l’agglomération en emportant du mobilier ou autre matériel. Il y en a d’autres qui discutent entre eux comment ne plus subir, comment faire un regroupement « vivre ensemble » des habitants face à celui des bandits, et de ces embryons de résistance peut surgir la force organisée qui abattra les gangs.