Le 12 juillet 2025, après dix jours de négociations, l’accord de Bougival a été signé entre l’État, les représentants des indépendantistes kanaks et les représentants des loyalistes calédoniens.
L’accord prévoit la création d’un « État de la Nouvelle-Calédonie » au sein de la République française et qui pourra être reconnu au niveau international, la double nationalité française et calédonienne, la répartition des compétences, et la réforme du corps électoral. Le nouvel État aura des pouvoirs locaux accrus par rapport au statut actuel. Cet accord bizarre d’un État dans l’État est présenté comme historique pour la Nouvelle-Calédonie divisée depuis des décennies entre indépendantistes qui ne veulent plus de la domination française et loyalistes qui veulent rester français.
Premièrement, s’il n’y avait pas eu l’insurrection populaire à partir de mai 2024 en Nouvelle-Calédonie, l’État n’aurait pas lâché cet accord même s’il n’est qu’à demi en faveur des indépendantistes. La mobilisation populaire avait démarré lorsque l’État allait élargir le corps électoral, c’est-à-dire permettre à plus de personnes récemment installées de voter pour ou contre l’indépendance.
En effet, l’accord de Nouméa signé en 1998 prévoyait trois référendums pour demander à la population de se prononcer sur l’indépendance ou non. Seuls les résidents inscrits sur les listes électorales en 1998 et leurs descendants avaient la possibilité de voter.
Le premier référendum organisé le 4 novembre 2018 avait donné 56,67% contre l’indépendance et 43,33% pour. Le deuxième référendum du 4 octobre 2020 avait pour résultat 53,26% contre l’indépendance, 46,74% pour. Le « oui » à l’indépendance progressait. Le troisième et dernier référendum du 12 décembre 2021, sur fond de contestation et de crise sanitaire Covid a été boycotté par les partis indépendantistes qui demandaient le report, lequel leur a été refusé.
Cette ouverture du corps électoral est défavorable aux indépendantistes kanaks car la plupart des nouveaux votants sont des Blancs européens pour la plupart et hostiles à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.
L’État français a colonisé la Nouvelle-Calédonie il y a 170 ans. De nombreux Kanaks ont été massacrés, les autres déportés. Le pouvoir français a alors posé les bases d’une colonie de peuplement en installant une population d’origine européenne suffisamment importante pour appuyer la domination coloniale. Cette population regroupe ceux qu’on appelle les Caldoches. L’objectif du pouvoir colonial est de maintenir la population kanake dans une situation entre autres d’infériorité démographique. Les Kanaks représentent aujourd’hui 41,2 % de la population.
Les Kanaks ont toujours eu à subir la discrimination coloniale. Ils subissent racisme et mépris depuis le début de la colonisation. Ce sont eux les plus pauvres, les plus touchés par le chômage et la misère. Les provinces les plus riches sont majoritairement blanches.
Les Kanaks n’ont jamais cessé de se révolter contre leur sort et ce dès le début de la colonisation. L’État a toujours violemment réprimé les révoltes comme celles de 1878 et 1917. Les années 80 furent des années de manifestations farouches et massives contre le régime colonial. Le 12 janvier 1985, Éloi Machoro et Marcel Nonnaro, leaders indépendantistes, furent assassinés par un tireur d’élite militaire sur ordre du gouvernement français de l’époque.
En 1988, dix-neuf militants indépendantistes furent tués par les troupes françaises après avoir pris en otage des gendarmes dans la grotte d’Ouvéa. La plupart des militants furent exécutés de sang froid après avoir été fait prisonniers. Les dernières émeutes de 2024 ont fait une dizaine de morts. Une dizaine de militants indépendantistes ont été emprisonnés en 2024. Ils ont été libérés en juin dernier.
En accordant la nationalité calédonienne, l’État français espère gagner du temps et maintenir sa mainmise sur les réserves de nickel en Nouvelle-Calédonie, un métal précieux pour la fabrication de l’acier inoxydable. La Nouvelle-Calédonie possède environ 25 % des ressources mondiales de nickel.
Certes l’État français a lâché du lest face aux indépendantistes et à la population kanake. Certes, ces derniers ont marqué des points grâce à leur révolte de l’année dernière et des précédentes. Cependant, le gouvernement français, s’il flatte les sentiments nationalistes kanaks, n’accorde pas d’indépendance.
L’émancipation totale du peuple kanak et l’obtention de son indépendance ne passeront certainement que par de nouvelles luttes et révoltes et des morts. Il faut toujours à l’ogre colonialiste français son quota de morts avant d’accorder l’indépendance.
Pour l’heure, dans ce nouveau statut d’État calédonien « sui generis », les travailleurs et les plus pauvres ont intérêt à construire leur propre force politique pour défendre leurs intérêts de classe et peser sur les négociations et les décisions futures qui seront prises en leur nom.