CO N°1362 (20 décembre 2025) – Historique – Épisode 3 : Combat ouvrier et les luttes des années 1970 en Guadeloupe et en Martinique

Nous avons vu dans les précédents numéros* comment des militants trotskystes antillais ont créé en 1965 à Paris la Ligue antillaise des travailleurs communistes. Après avoir milité plusieurs années dans l’émigration, ils décidèrent de retourner en 1971 en Guadeloupe, puis peu de temps après en Martinique.

Le 24 mai 1971, faisant suite au journal ronéoté Lutte ouvrière, sort aux Antilles le premier numéro du journal Combat ouvrier, un journal communiste révolutionnaire trotskyste qui « se donne pour but de défendre le point de vue de la classe ouvrière dans toutes les questions nationales et internationales. Nous voulons que nos analyses servent d’instrument au prolétariat pour sa libération définitive du joug capitaliste » (éditorial N°1).

La classe ouvrière au combat

Les militants de Combat ouvrier arrivèrent en Guadeloupe au moment des grandes grèves de 1971. Les travailleurs agricoles, soutenus par l’UTA (Union des travailleurs agricoles), se mettaient en grève en janvier 1971 contre les usiniers, contre un accord signé par certains syndicats, pour augmenter les salaires et augmenter le prix de la tonne de canne. Cette grève fut suivie par celle, massive, des travailleurs du bâtiment. Cette dernière fut  une grève totale de plusieurs mois, celle des centaines d’ouvriers qui fabriquaient les grandes cités comme Grand- Camp. Les ouvriers étaient en majorité regroupés autour du syndicat Fraternité ouvrière (qui avait fait scission avec la CGT), et revendiquaient les 40 % de vie chère comme les fonctionnaires et de réelles augmentations de salaire. De grands meetings se faisaient sur le chantier de Grand-Camp et plusieurs fois à l’institut Vizioz (la fac de droit de l’époque) à Pointe-à-Pitre.

En Martinique on nota aussi de nombreuses grèves, principalement dans le bâtiment, dans les hôpitaux et sur les plantations.

Ces grèves exprimaient une grande colère longtemps contenue.

Elles étaient menées par des dirigeants nationalistes qui avaient choisi de s’implanter là où il y avait de la grogne. La colère partait des conditions de vie de ces milliers de travailleurs. C’était une époque où les salaires étaient bien plus misérables que ceux, pourtant bas, d’aujourd’hui alors que les prix s’envolaient. On voyait par exemple le prix de l’huile doubler en seulement quelques semaines. Le salaire minimum était inférieur à celui pratiqué dans l’Hexagone, pour des journées harassantes. Le paiement se faisait à la tâche dans les champs. La canne était vendue à la richesse saccharine et non plus au poids, ce qui occasionna une véritable forfaiture des capitalistes usiniers. Les paysans pauvres n’avaient aucun contrôle. À disposition du patronat il y avait une armée de 50 000 chômeurs.

L’ordre colonial

La classe ouvrière combative arracha des victoires, mais elle se heurta à la répression coloniale.

Cette domination s’exprime d’abord dans le quotidien : bas salaires, racisme, mépris, lois coloniales. Les militants de Combat ouvrier, par exemple, ont exprimé leur solidarité avec le professeur Yves Leborgne face à une loi coloniale injuste, l’ordonnance du 15 octobre 1960, qui interdisait aux fonctionnaires antillais « qui troubleraient l’ordre public » de travailler dans les dits départements d’Outre-mer, Guyane, Réunion, Guadeloupe, Martinique. En réalité il s’agissait surtout d’intimider les autonomistes ou indépendantistes. Certains courageusement refusèrent de quitter leur île et perdirent leur travail comme notamment : Armand Nicolas, Guy Dufond, Georges Mauvois et Walter Guitteaud, fonctionnaires et communistes de la Martinique.

Nous étions seulement quatre ans après « mai 1967 » marqué par un massacre et les réflexes meurtriers de la soldatesque coloniale n’avaient pas disparu. Tout pouvait arriver.

Lors des grèves de la canne en 1971, puis lors des mouvements suivants, les  « képis rouges » patrouillaient dans les champs de canne à chaque récolte, armés de mitrailleuses. Les arrestations de militants se multipliaient après les grèves et les manifestations. Il y avait même de nouvelles tueries, comme celle de février 1974 en Martinique.

L’atmosphère était donc lourde et étouffante. La liberté d’expression des militants révolutionnaires était elle aussi bafouée. Les premiers journaux de Combat ouvrier imprimés dans la région parisienne furent souvent bloqués à la douane sur ordre du préfet. Il arrivait aussi que des militants, simplement parce qu’ils vendaient le journal sur la place publique, soient interpellés par les gendarmes et emmenés dans leurs locaux pour un moment. Cela évidemment nuisait à la vente militante.

Dans les épisodes suivants, nous reviendrons sur les luttes de cette période en Martinique, sur la tuerie de « février 74 » et nos activités dans ces années 70.