Le 23 mars, lors du procès des syndicalistes de l’U.T.A., les forces de répression se livrèrent à des
brutalités contre les manifestants ouvriers et lycéens venus apporter leur soutien aux accusés.
Quelques jours plus tard, les étudiants et lycéens de Baimbridge et Vizioz se mettaient en grève
illimitée pour protester contre ces brutalités et pour soutenir la grève du bâtiment. De nombreux
meetings et conférences se tenaient à Baimbridge, mais surtout à l’institut Vizioz. C’est ainsi que
des militants de toutes tendances, nationalistes, socialistes, révolutionnaires, sans tendance
pouvaient s’exprimer et expliquer leur vision de l’avenir pour la Guadeloupe. Des grévistes
ouvriers, des syndicalistes de l’U.T.A. et de Fraternité Ouvrière, des petits planteurs, purent aussi
expliquer au fil des jours les raisons de leur mécontentement. Cela ne pouvait évidemment plaire à
l’Administration coloniale Mais le Parti communiste guadeloupéen, lui, n’était pas content du tout
de cette situation. Car. nombre d’ouvriers, de syndicalistes, de militants, venaient dénoncer sa
politique hypocrite et démobilisatrice. Que des ouvriers, des étudiants soient en train de, prendre
conscience que la seule lutte que le P.C.G. soit prêt à mener, est de type électoraliste, qu’on le dise à
des centaines de gens qui eux le répétaient à des centaines d’autres, cela ne pouvait satisfaire le
Parti des staliniens enragés que sont les Géniès, Songeons et compagnie. Aussi, tout au long des
vacances de Pâques menèrent-ils une violente campagne dans l’« Etincelle » par tracts signés de la
C.G.T., du P.C.G. ou de la municipalité de Pointe-à-Pitre qu’ils contrôlent. Ces tracts conviaient les
« parents » d’élèves à venir mettre les gauchistes à la raison (l’Etincelle du 3 avril). Puis, le 10 avril,
l’Etincelle parlait de « commando gauchiste » et appelait les « parents » et les « démocrates » à
passer à l’action et à venir administrer la riposte et mettre fin à l’action néfaste des gauchistes ».
Pour exciter ses partisans contre les étudiants grévistes, le P.C.G. fit flèche de tout bois. Un odieux
chauvinisme anti-Martiniquais fut développé. Puis ce fut le couplet sur « les éléments étrangers» à
la cité scolaire, etc., etc. Tout y passa. Toujours est-il que le lundi de la rentrée, les membres du
PCG déguisés pour la circonstance en « parents d’élèves » vinrent aux portes de Baimbridge pour
expliquer aux jeunes qu’il fallait reprendre les cours. Il n’y eut que quelques bousculades, les nervis
staliniens se contentant de s’en prendre aux diffuseurs de tracts. Un meeting se tenait rassemblant
près de 150 participants, pendant que des petits groupes se formaient dans les cours et allées de la
cité. Un flottement se faisait sentir. Beaucoup d’élèves étaient alors prêts à reprendre. Finalement,
c’est le mardi qu’un meeting devait avoir lieu pour décider de la reprise ou pas. Le mardi, des
incidents plus ou moins confus avaient lieu, provoqués par le proviseur et certains employés du
lycée. Ceux-ci s’en prenaient avec violence aux étudiants, voulant empêcher le meeting.
Le mercredi, dès 6 heures du matin, les nervis du P.C.G. se dirigeaient vers les établissements
scolaires en vue d’en chasser définitivement les «gauchistes». Cette fois toute la bande y était :
Génies, le super-stalinien de choc qui s’était déjà distingué le lundi, les Verdol, Thole, Vrécor
(accompagnés d’employés municipaux que le P.C.G. tient par le ventre). Tout ce beau monde était
généreusement pourvu d’instruments contondants (barre de fer, de bois, bouteilles, cailloux, rasoirs,
etc.). Ils commençaient par frapper sauvagement un jeune, considéré comme, un meneur. Puis ils se
lançaient à l’assaut de la cité scolaire.
Courageux, mais pas téméraires, ils s’étaient auparavant assurés de la présence aux environs de
plusieurs cars de képis rouges. Echauffourées, jets de pierres, bastonnades se déroulèrent pendant
les premières heures la matinée.
Plusieurs étudiants et lycéens furent malmenés. Michel Rovelas, candidat révolutionnaire aux
élections municipales, qui tentait de faire entendre raison aux staliniens, fut sauvagement frappé par
derrière, à la tête, par des nervis staliniens, qui se jetèrent sur lui et le rouèrent de coups. Devant
l’attitude agressive du P.C.G., tous les lycéens, y compris ceux qui avaient repris les cours, tous les
étudiants firent front et chassèrent les staliniens enragés. Ceux-ci durent se replier et laissèrent alors
la place aux képis rouges qui jusque là étaient restés spectateurs. La collusion était évidente pour
tous entre képis rouges et nervis staliniens. Des arrestations furent opérées, plusieurs manifestants
furent arrêtés dont le jeune Jean-Louis Jasor. Rovelas était conduit dans une clinique ; le centre
scolaire était fermé.
Aussitôt des groupes de jeunes se répandirent dans Pointe-à-Pitre pour réclamer la libération de
Jasor. Malgré le quadrillage de la ville, les manifestations se poursuivirent jusqu’au soir vers 20
heures. La panique s’emparait de la ville. Les magasins fermaient leurs portes, tandis que des
groupes de jeunes étudiants, lycéens, chômeurs, ouvriers, lançaient des projectiles divers sur les
forces de répression. Quelques-uns d’entre-eux devaient être assez sérieusement blessés. La journée
fut chaude, chacun avait en tête les massacres de 1967, mais rien de grave n’eut lieu. Près de 15
personnes, manifestants ou non, ont été arrêtées.
Ainsi, voilà les méthodes par lesquelles les Bangou et autres entendent soutenir la lutte des
travailleurs du bâtiment. Le PCG, bien que se prétendant Parti des travailleurs, n’a en rien aidé les
ouvriers du bâtiment à réussir leur grève. Bangou et la municipalité de Pointe-à-Pitre se vantent
d’avoir distribué des secours en espèces et en nature aux grévistes. Cela ne suffit pas et de loin. Par
contre, un tel mode de soutien, en l’absence de toute organisation véritable de la lutte dans le
secteur du bâtiment comme dans les autres secteurs, est bien à la mesure du PCG, parti de
réformistes avérés qui prétendent pouvoir améliorer la société capitaliste et non la détruire, pour la
remplacer par une société dirigée par le prolétariat et dans l’intérêt des masses exploitées. Le P.C.
n’ayant pu entraîner les lycéens à reprendre les cours, ce qui signifiait en l’occurrence : ne plus
soutenir la grève des ouvriers du bâtiment, a décidé de détruire leur mouvement.
Il y a peut-être très provisoirement réussi, mais travailleurs et lycéens s’en souviendront. Et cette
réflexion d’une manifestante du samedi à Pointe-à-Pitre, pendant les affrontements avec les képis
rouges : « Où, sont les gens du P.C.G. ? On ne les voit que quand il s’agit de voter ou de. combattre
les lycéens», n’annonce pas des jours meilleurs pour le P.C.G.
* * *
Malgré l’interdiction de manifester sur tout le territoire de la Guadeloupe, trois rassemblements et
défilés ont eu lieu, suivis de meetings à Sainte-Rose, Capesterre et Abymes. Rassemblant
globalement quelques centaines de personnes, ces manifestations qui se déroulèrent sous les plis du
drapeau rouge, aux cris de « LE POUVOIR AUX OUVRIERS », « KIMBE RAID POU 4,90 LA »,
« INDEPENDANCE NATIONALE », etc. permirent de remonter le moral de tous. Car, malgré le
climat répressif qui pèse, on avait osé descendre dans les rues, peu nombreux, certes, mais bien
accueillis par la population.