Le 1er janvier 1804 fut proclamée l’indépendance de Saint Domingue. Le nouveau pouvoir lui rendit son nom caraïbe d’Ayiti, ou Haïti, « île aux hautes montagnes ». Haïti devint ainsi la première république noire au monde, le premier pays où une population d’anciens esclaves parvint à vaincre une armée coloniale surentrainée pour conserver une liberté récemment et très chèrement conquise.
Un pays isolé
Les anciens esclaves avaient gagné leur liberté et l’indépendance du pays, mais ils se retrouvaient dans un pays ruiné. Les anciennes plantations étaient dévastées et il n’était pas question pour eux de retourner y travailler, même avec de nouveaux maîtres. Les anciennes cultures d’exportation n’auraient de toute façon pas trouvé de débouché : l’ancienne puissance coloniale avait instauré un blocus interdisant le commerce avec Haïti. Une peur intense de la contagion des luttes d’esclaves était perceptible chez les colons des autres îles. Si les Noirs d’Haïti n’avaient pas pu être vaincus, il fallait les étouffer.
Le pays se retrouvait donc isolé. L’esclavage avait été rétabli en Guadeloupe malgré la résistance et la lutte des troupes noires. Il n’avait pas été aboli dans les autres îles sous domination anglaise ou espagnole.
La constitution d’une élite sociale
L’indépendance acquise, Dessalines s’imposa au pouvoir. Ce général avait pris la tête de l’armée des Noirs après la capture de Toussaint Louverture. Il se proclama empereur sous le nom de Jacques 1er. Sa dictature ouvrit le chemin de l’ascension d’une élite possédante : la propriété des terres désertées par les colons fut attribuée en récompense à des chefs militaires, ainsi qu’à des fonctionnaires civils soutiens du régime. Le travail forcé fut mis en place pour les anciens esclaves, ce qui entraina des révoltes. Dessalines fut assassiné en 1806. Haïti fut alors divisée en deux États dirigés par d’anciens chefs militaires : Henri Christophe, au Nord, qui se proclama roi et se fit construire plusieurs somptueux palais ; Pétion au sud qui fut élu président en 1811 et continua à attribuer des terres aux vétérans de l’armée. Haïti fut réunifié après leur mort.
La nouvelle classe dirigeante
La politique menée par leurs successeurs au pouvoir ne fit que renforcer le fossé béant entre une élite politique et possédante et la masse pauvre des cultivateurs. Le retour du travail forcé entraina d’autres révoltes qui aboutirent à l’exil du président Boyer en 1843. La bourgeoisie montante s’appuya sur ces révoltes pour proclamer en 1844 l’indépendance de la partie Est de l’île, qui devint Saint Domingue.
Le pouvoir français étrangle Haïti
C’est sous la présidence de Boyer en 1825 que le Roi français Charles X exigea d’Haïti le paiement d’une indemnité colossale de 180 millions de francs or en contrepartie de la reconnaissance de l’indépendance. Il appuya son exigence par la menace de la force armée. Le paiement de cette dette et de ses intérêts contribua fortement à la ruine du pays. Les intérêts de la dette coururent jusqu’au milieu du XXème siècle.
Par la suite, une succession de chefs d’État contribuèrent à appauvrir le pays par leur brutalité et en l’ouvrant aux grandes sociétés de commerce et banques étrangères.
La population pauvre continuait à se révolter. Durant la seconde moitié du XIXème commencèrent les premières révoltes des Cacos. Elles devaient menacer le pouvoir et effrayer la classe possédante urbaine. Ces paysans révoltés étaient aussi appelés Piquets dans le sud. Autour de 1915, ils ressurgirent pour s’opposer à l’occupation américaine. Au nord, ils eurent à leur tête Charlemagne Péralte. Il fut capturé, assassiné, sa dépouille exposée, par l’armée américaine.
L’occupation américaine
Dès 1910, les États Unis avaient pris le contrôle de la banque nationale en faillite. Le but de l’impérialisme américain était d’étendre sa domination sur toutes les îles à ses portes. Ils occupèrent Haïti militairement en 1915. La première mesure consista à gérer l’économie en contrôlant les droits de douane. En 1918, la constitution adopta le droit pour les étrangers d’acquérir des propriétés immobilières. Dès lors, des compagnies américaines purent prendre possession des terres, celles vacantes qui furent largement déboisées et celles dont les paysans furent chassés. La corvée (travail forcé gratuit sur les terres des grands propriétaires) fut rétablie pour les cultivateurs. Haïti resta occupée de fait jusqu’en 1934, mais par la suite les intérêts américains demeurèrent en place.
L’administration américaine organisa l’exode de dizaines de milliers de jeunes – en moyenne 20 000 par an pendant 20 ans – vers Cuba et Saint Domingue occupée par les États Unis depuis 1905. Ils constituèrent une main d’œuvre à bon marché pour les compagnies sucrières capitalistes américaines.
Dans un pays ruiné, la population résiste
Les présidents qui se sont succédé étaient mis en place par l’occupant, qui renforça le pouvoir de l’élite mulâtre opposée aux masses pauvres noires. Cela jusqu’à l’élection de François Duvalier en 1957. Il se déclara président des Noirs mais mit en place une dictature féroce. Il fut toléré par les États Unis pour sa capacité à maintenir l’ordre bourgeois face aux masses misérables. Il fut remplacé par son fils Jean Claude qui favorisa la reprise des investissements étrangers tout en maintenant la dictature. Il fut renversé par une insurrection populaire en 1986.
L’histoire récente d’Haïti repose sur la même structure sociale. Une classe possédante locale, mi féodale mi bourgeoise, liée aux intérêts impérialistes, peu nombreuse, draine les ressources du pays en accord avec les intérêts étrangers, avec le soutien du pouvoir politique. Les hommes au pouvoir ont mené des politiques identiques de soutien aux exploiteurs, avec l’appui de l’armée ou de milices armées. L’objectif unique de cette bourgeoisie est de continuer son pillage, alors que la population est plongée dans la misère et la terreur des gangs.
Le peuple haïtien continue à faire preuve d’un grand courage. Il a prouvé tout au long de son histoire sa capacité à se révolter. Aujourd’hui, des travailleurs surexploités n’hésitent pas à braver tous les dangers de la répression pour revendiquer une vie meilleure. Ils peuvent trouver en eux la force de se débarrasser des oppresseurs d’aujourd’hui comme leurs ancêtres l’ont fait de ceux d’hier.