Le 7 février 1986 Jean-Claude Duvalier s’enfuyait d’Haïti sous la protection de l’armée américaine en direction de la France où il vécut un exil doré pendant 25 ans. Il retourna, en Haïti en janvier 2011, un an après le tremblement de terre.
La dictature des Duvalier
Son père François Duvalier, président en 1957, avait instauré un régime de terreur, appuyé sur le corps armé des tontons macoutes. À sa mort en avril 1971 Jean-Claude Duvalier fut propulsé président encadré par les dignitaires macoutes au service des nantis. Il continua à organiser le régime de terreur contre tous ceux qui auraient pu contester son pouvoir, soutenu par le gouvernement américain pour lequel il était un allié dans la lutte contre les communistes. La bourgeoisie soutenait la dictature de Duvalier tant qu’il lui permettait de maintenir des salaires misérables et l’absence de grèves.
Après trente années sous le joug d’une dictature féroce, qui n’avait pas été ébranlée par des coups de force d’opposants liés au parti communiste haïtien, toute une population a relevé la tête. Elle était sensible à la propagande des Ti Légliz, soutenus par la jeunesse scolaire et étudiante qui agissait par l’intermédiaire d’une mission d’alphabétisation des paysans.
Le déchoukage
En mai 1984, des émeutes éclatèrent dans la ville de Gonaïves. Malgré la répression habituelle, les échauffourées et les manifestations ne cessèrent pas. Les écoliers et les lycéens manifestaient aux cris de : « À bas la misère, à bas le chômage ». Ils affrontaient les unités de répression, envoyées de Port-au-Prince. Le 28 novembre 1985, l’armée abattit trois jeunes gens : Jean Robert Cius, Mackenson Michel, Daniel Israel. Ces trois assassinats causèrent des manifestations dans les différentes villes de province, comme à Port-au-Prince.
Début janvier 1986, à Port-au-Prince, les directeurs d’école fermaient les établissements pour une journée de deuil et de prière. Fin janvier au Cap Haïtien, 40 000 manifestants se retrouvaient pour demander le départ de Duvalier. Partout en province, les jeunes tenaient tête aux miliciens et aux soldats qui tiraient et tuaient. À Port-au-Prince, les tontons macoutes étaient concentrés et regroupés. L’état de siège fut décrété à partir du 30 janvier 1986 au soir.
Duvalier et ses partisans, allaient encore essayer de se maintenir, mais la dictature duvaliériste se révélait incapable de briser le mouvement de révolte. Une partie de la bourgeoisie, commençait à parler de démocratie. Les États-Unis préféraient lâcher Duvalier plutôt que de voir le mouvement se développer et tout emporter, voire disloquer l’armée, dernier rempart contre les masses pauvres. Le 7 février 1986, Duvalier s’enfuyait pour la France.
Dans les rues de la capitale et les villes de province, c’était le « déchoukage », les macoutes étaient pourchassés et la colère de la population était à la hauteur de la répression qu’elle avait subie. Les symboles du pouvoir des Duvalier étaient attaqués, le mausolée de François Duvalier était démonté pierre par pierre. La prison de Fort Dimanche où les opposants au duvaliérisme étaient détenus, torturés, exécutés a été rasée par la foule des manifestants.
Les macoutes se débarrassaient de leurs uniformes pour se cacher. Ceux qui n’avaient pas pris la fuite, contrairement aux chefs des miliciens telle Mme Max Adolf, étaient rattrapés par la population et exécutés. Dans les provinces les paysans se révoltaient contre les gros propriétaires, les grandons spoliateurs et commençaient à occuper les terres.
La dictature de la bourgeoisie et de l’armée
Mais le déchoukage dirigé contre les macoutes laissait en place la bourgeoisie et l’armée à son service. Face aux masses qui étaient en mouvement, les classes privilégiées réagirent. Le slogan « vive l’armée, à bas macoutes » fut repris par les médias et les groupes politiques qui florissaient. La fureur de la population fut détournée des grandes familles de possédants terriens, industriels et financiers ; la bourgeoisie ne fut pas attaquée.
Le Conseil National de Gouvernement (CNG) fut mis en place, avec cinq militaires : le général Henri Namphy, les colonels William Régala, Max Valles, Alix Cinéas et Prosper Avril, ancien garde du corps de Jean-Claude Duvalier. Gérard Gourgue, président de la Ligue des Droits de l’Homme, servait de caution démocratique au CNG. « L’alternative démocratique » ne fut que la prise du pouvoir par l’armée qui assura la succession. Les espoirs et les illusions de la population furent étouffés dans une suite de promesses électorales suivies de coups d’État de différents groupes militaires durant la période de la « bamboche démocratique ». L’élan combatif de la population fut brisé, jusqu’à la vague d’espoir suscité par l’élection du curé Jean Bertrand Aristide en décembre 1990. Il s’appuya sur l’armée et le général Cédras. Ce dernier prit la tête du coup d’État du 29 septembre 1991 et le renversa. Il s’ensuivit une répression féroce contre la population des quartiers pauvres et les paysans.
Pour un déchoukage de la bourgeoisie d’Haïti
35 ans après, pour toute une partie de la population, la dictature des Duvalier ne représente que les récits des parents ou les textes des manuels d’histoire. Les pauvres, les travailleurs ont vécu la désillusion des espoirs mis en Aristide avec la succession de gouvernements au service de la bourgeoisie et des nantis.
Aujourd’hui Nicolas, le fils de Jean-Claude Duvalier apparait sur la scène politique revendiquant l’héritage de son père et défendant le duvaliérisme. Des anciens serviteurs de Duvalier, généraux ayant fomenté des coups d’État, comme Prosper Avril, d’anciens chefs macoutes revenus d’exil réapparaissent sur les médias proposant leurs services aux possédants.
Face à eux, les travailleurs, la population pauvre, la jeunesse travailleuse, les étudiants et lycéens qui vivent sous le joug des gangs armés ont un rôle à jouer dans le déchoukage à venir. Pas seulement pour chasser Jovenel Moïse suivant l’appel des opposants qui ont envisagé de bloquer le pays le 7 février. Mais c’est un déchoukage de la classe bourgeoise et de ses valets qu’il faudra. Seuls, la classe ouvrière et les couches populaires alliées, organisées autour d’un parti des travailleurs se battant pour les propres intérêts des pauvres sont à même de pouvoir le faire. Ils n’y parviendront qu’en brisant l’État bourgeois haïtien et en instaurant par la révolution sociale et politique un État ouvrier, un pouvoir des travailleurs.