Les 14 et 16 février 1974, deux ouvriers agricoles ont été tués par les forces de l’ordre coloniales. Leur massacre s’inscrit dans le déroulement des grèves de février 1974.
Le contexte social
Dans les années 60 et 70, de nombreuses usines sucrières peuplaient la Martinique. Un certain nombre de ces usines ont fermé et ont été remplacées par des plantations de banane. Ces plantations, qu’elles soient de canne à sucre ou de banane, sont restées propriétés des békés, les riches descendants des esclavagistes, les capitalistes locaux les plus riches de la Martinique.
Les conditions de travail dans les plantations de banane étaient quasi-esclavagistes. Les ouvriers de la banane travaillaient avec de nombreux produits toxiques et sans protection. Ils étaient embauchés chaque jour et le salaire était versé à la fin de la journée de travail. Leur salaire journalier allait de 20 à 29 francs par jour, bien moins que le SMIC de l’époque qui était de 35 francs par jour. Les travailleurs agricoles n’étaient pas payés sous le même régime que les autres travailleurs. Ils touchaient le salaire minimum agricole garanti (SMAG).
Au début des années 70, la vie devenait de plus en plus difficile à cause de l’inflation. L’exaspération monte chez les travailleurs agricoles.
Début des grèves de 1974
Le 17 janvier 1974, à l’habitation Vivé au Lorrain dans le nord de la Martinique, les ouvriers de la banane entrent en grève à la suite du licenciement d’un de leurs collègues. Des assemblées générales se tiennent et des comités se mettent en place dans d’autres plantations de banane qui rejoignent la grève. Les ouvriers réclament des augmentations de salaire. Ils veulent être payés sur la base du même salaire minimum que les autres travailleurs. Ils réclament l’abandon de l’utilisation de pesticides.
La grève prend de l’ampleur
Depuis le début janvier, la contestation face à la cherté de la vie ou les licenciements s’est également développée dans de nombreux secteurs en ville. De nombreux grévistes manifestent à Fort-de-France, notamment ceux du bâtiment ou les dockers, ceux de la SPDEM, ancienne EDF ou de la fonction publique, tels les hôpitaux. Les lycéens eux aussi sont mobilisés. Le 12 février 1974, la grève devient générale.
Dans les plantations, les ouvriers grévistes font la grève marchante. C’est une tradition chez la classe ouvrière antillaise d’aller de plantations en plantations convaincre les travailleurs de rejoindre la grève.
Les gendarmes ouvrent le feu
La grève prend de l’ampleur chez les ouvriers agricoles ce qui inquiète les riches békés. Le préfet, représentant de l’État au service des capitalistes békés, ordonne l’envoi de 200 gendarmes à Basse-Pointe, à l’habitation Chalvet où se déroule une marche des ouvriers, le 14 février. Une dizaine de camions de gendarmes poursuivent les grévistes. Un hélicoptère crache sur eux des grenades lacrymogènes. C’est à ce moment que les ouvriers, accompagnés de jeunes militants, sont pris en chasse par les gendarmes qui tirent. Ils tirent à balles réelles sans sommation sur les travailleurs, faisant une dizaine de blessés et un mort, Ilmany Sérier, dit Rénor, ouvrier de 55 ans.
Pendant l’enterrement de Sérier, un corps torturé et mutilé est retrouvé sur une plage de Basse-Pointe. Il s’agit de Georges Marie-Louise, un jeune ouvrier gréviste de 19 ans, probablement frappé à mort par les membres des forces de répression, gendarmes ou autres.
La soldatesque s’était une fois encore déchaînée contre des travailleurs en grève pour défendre leur pain et leurs droits. Les travailleurs s’étaient courageusement défendus. Un gendarme a eu la main tranchée.
Victoire des ouvriers en lutte
À la suite du massacre des deux ouvriers, des travailleurs toujours en grève défilèrent à Fort-de-France, toujours en exigeant des augmentations de salaire. Finalement, un accord est signé le 21 février 1974, dans la banane. Les patrons bananiers ont accepté de payer la journée de travail de huit heures à 39,50 francs.
Tuerie d’ouvriers : une habitude de l’État colonial
La grève de février 1974 s’est soldée par le massacre de deux ouvriers. Ce n’est pas la première fois. De nombreuses grèves se sont déroulées dans le sang de travailleurs tués pas la soldatesque coloniale.
La tuerie de Chalvet fut la dernière en date d’une longue série de massacres d’ouvriers en grève aux Antilles françaises tout au long du vingtième siècle. 50 ans après, la grève de février 74 reste un exemple de lutte et de détermination pour l’ensemble des travailleurs agricoles, et pour la classe ouvrière en général.