Le 9 février 1923, une grève marchante d’ouvriers agricoles de la canne qui se rendaient à l’habitation Bassignac à Trinité, dans le Nord-Atlantique, fut brutalement réprimée par des gendarmes coloniaux. Bilan : deux morts parmi les grévistes.
À cette époque, les ouvriers agricoles travaillaient à la tâche, c’est-à-dire qu’ils devaient atteindre un objectif chaque jour pour être payés. Pour un coupeur de canne, la tâche était de cinq kilomètres de longueur de cannes coupées. À cause de la nouvelle variété de canne plus rigide, la tâche s’était endurcie et la journée de travail qui, avant, se terminait à 14 heures ne s’achevait désormais pas avant 17 heures.
Les ouvriers réclamaient que le salaire du coupeur passe de trois francs à 4,5 francs et celui d’une amarreuse (une ouvrière qui attachait les cannes en paquets) passe de 2,30 francs à 3,50 francs surtout que les prix des produits alimentaires ne cessaient d’augmenter. Mais les patrons ne voulaient rien entendre.
En ce début février 1923, les ouvriers de la canne de la région de Sainte-Marie étaient bien décidés à obtenir satisfaction. D’autant que la guerre 1914-1918 avait permis aux grands planteurs et aux usiniers issus des riches familles békées de s’enrichir davantage.
La grève démarra le 29 janvier 1923 dans les usines et plantations aux alentours des communes de Sainte-Marie et du Lorrain. Les grévistes se répandirent en groupe, coutelas à la main, d’habitations en habitations, de plantations en plantations vers le Nord et vers le Sud, de Macouba jusqu’à Trinité. Les champs de canne furent désertés, certains furent brûlés et les usines s’arrêtèrent.
La grève marchante est une tradition du mouvement ouvrier aux Antilles. En étendant leur mouvement dans les autres plantations et usines, les grévistes pouvaient faire plier plus rapidement leur patron.
Le 9 février, une soixantaine de grévistes partaient du Morne des Esses pour rejoindre Bassignac qui n’était pas encore en grève. Sur le chemin, des gendarmes armés les attendaient. Ils firent feu sur les grévistes.
Deux ouvriers, Sosthène Gracius Gry, surnommé Dantès, âgé de 21 ans, et Laurence Marcialy, 19 ans, furent tués. Trois autres furent blessés.
Après cette tuerie, la grève continuera encore pendant quelque temps en s’étendant vers le Sud avant de s’essouffler sans que les travailleurs n’obtiennent satisfaction.
De cette grève, on retiendra les noms de Laurence et Dantès mais aussi celui des dirigeants du mouvement comme Genius Lapierre, Cornelius Niger et Antoine Guillaume du syndicat des ouvriers agricoles de Sainte-Marie.
La tuerie de Bassignac n’était pas la première ni la dernière dans l’histoire du mouvement ouvrier aux Antilles. Quand les intérêts des patrons békés sont menacés, ces derniers ont toujours pu compter sur l’État colonial pour sauvagement réprimer les travailleurs en lutte.
Aujourd’hui encore, l’État protège ces gros possédants.