Depuis environ un mois, les grèves et les mouvements revendicatifs se multiplient en France.
 Certes, il ne s’agit pas comme en mai 68 d’une grève générale paralysant tout le pays mais, par bien
 des aspects, mai 71 rappelle la situation d’il y a trois ans. Le mouvement a débuté chez les ouvriers
 spécialisés des usines Renault, au Mans. Menacés de lock-out par la Direction, les travailleurs de
 Billancourt répliquèrent en votant la grève avec occupation de l’usine. D’autres entreprises se
 mirent en grève, comme la Polymécanique, à Pantin, ou l’usine Bourgeois, à Besançon, et là encore,
 les ouvriers décidèrent d’occuper les locaux. Une série de débrayages eurent lieu dans les secteurs
 les plus divers banques, métallurgie, transports, etc. Certes, rien de concerté, rien de précisément
 organisé dans tous ces mouvements. Mais ce qui ressort essentiellement de tout ceci, c’est que les
 travailleurs en ont assez, et qu’ils veulent montrer au gouvernement qu’ils ne sont pas prêts à
 accepter de faire les frais de sa politique actuelle. Celui-ci n’hésite pas à accuser cyniquement les
 travailleurs d’entretenir l’inflation en demandant des augmentations de salaire. Quant à ceux qui
 spéculent et sont les véritables responsables de l’inflation, ils peuvent agir en toute quiétude. C’est
 parce qu’ils en ont assez de tout cela, assez de l’augmentation du coût de la vie, des cadences de
 travail, assez de la crise actuelle du logement et du scandale des transports, que les travailleurs se
 sont mis en grève. Mais les appareils syndicaux, loin d’organiser leur lutte, firent des pieds et des
 mains pour la freiner, pour en empêcher l’extension. Chez Renault, la C.G.T. s’était d’abord
 prononcée contre l’occupation et c’est devant la détermination des travailleurs qu’elle dut s’incliner.
 Il en va de même dans les différentes entreprises. Georges Séguy, secrétaire général de la CGT, a
 bien précisé dans un de ses discours qu’il n’était pas question de faire un nouveau mai 68, qu’il
 fallait se garder des « aventuristes » qui parlent de grève générale. Mais c’est là précisément que le
 mouvement actuel se distingue des précédents. Alors qu’en mai-juin 68, la CGT, laissant se
 développer le mouvement, avait pu le récupérer sans encombre, cette fois-ci, dès le début, ses
 représentants se sont ouvertement opposés au déclenchement de la grève, et encore plus aux
 occupations. Et c’est en toute connaissance de cause, en sachant qu’ils auraient à se heurter non
 seulement au patron, mais aux appareils syndicaux, que les ouvriers ont pris leur décision. De toute
 évidence, il apparaît dans plupart des entreprises, qu’une fraction importante des travailleurs ne se
 fait plus aucune illusion sur les appareils syndicaux. Et ce fait est d’une importance capitale. Certes,
 les dirigeants des syndicats, et en particulier de la CGT, réussiront sans doute, par leur attitude
 démoralisante, à faire reprendre le travail.
 A l’heure où nous écrivons, il semble que les ouvriers du Mans se soient résignés à terminer leur
 grève. Mais les dirigeants syndicaux, en dégoûtant les travailleurs, ne font, qu’ils le veuillent ou
 non, qu’apporter de l’eau au moulin des révolutionnaires. Ceux-ci ont, pour la première fois en
 France, l’occasion de gagner à eux une fraction non négligeable de la classe ouvrière. En tout cas, la
 simple existence d’une telle fraction constitue sans aucun doute un fait très important pour l’avenir
 des luttes sociales en France.