CO N°1285 (7 mai 2022) – Le vote Le Pen aux Antilles-Guyane

Au second tour de l’élection présidentielle, opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen, cette dernière a réalisé 92 106 voix soit 69,60 % en Guadeloupe, 73 000 voix soit 60,87 % en Martinique, 21 437 voix soit 60,78 % en Guyane. Les scores de Le Pen ont augmenté dans toute la France par rapport à 2017.

Alors, comment des pays majoritairement noirs et indiens et, de par leur histoire, si sensibles à la question raciale ont-ils pu voter pour l’extrême droite raciste à une si large majorité ?

Le Pen, il est vrai, a réussi sa dédiabolisation. Elle n’apparait plus comme raciste.  Elle a déjà trouvé plusieurs représentants noirs ou indiens en Guadeloupe. L’époque où son père et même elle ne pouvaient atterrir en Guadeloupe et en Martinique avec l’approbation populaire est révolue.

Beaucoup aussi au sein des classes populaires des Antilles Guyane rejoignent les thèses du RN contre l’immigration accusée de tous les maux. En particulier, ceux-là s’opposent à l’immigration haïtienne, la plus importante, et ils contribuent au renforcement électoral de l’extrême droite.

Mais cela ne peut expliquer l’ampleur du vote Le Pen ce 23 avril 2022 (on vote le samedi aux Antilles).

« Tout, sauf Macron ! »

Ce vote Le Pen a surtout représenté un rejet d’Emmanuel Macron.

Dès les premiers mois de son élection en 2017, Macron a mis en place des lois anti-ouvrières et continué la politique d’austérité dans les services publics menée par Hollande et Sarkozy avant lui. Les problèmes de manque d’eau et d’eau potable pénalisent la population. Les ordonnances de 2017 ont attaqué le code du travail en permettant notamment aux patrons de licencier plus facilement des salariés. L’arrogance de Macron à l’égard de la révolte des gilets jaunes, de loin, fut mal perçue. Puis il a annoncé une réforme de la retraite pour repousser l’âge de départ à 65 ans. Enfin, la crise sanitaire a été l’occasion pour lui d’arroser le grand patronat de milliards d’euros pendant qu’il imposait la suspension sans salaire de milliers de soignants non vaccinés dans toute la France.

En Martinique et en Guadeloupe, la loi du 5 août sur l’obligation vaccinale a déclenché une explosion sociale en novembre 2021. Des grèves ont éclaté dans les principaux établissements de soins pour protester contre les suspensions. Les jeunes des quartiers populaires, principales victimes du chômage de masse, ont paralysé les axes routiers des deux îles pendant plusieurs jours pour réclamer plus de justice sociale. La réponse du gouvernement : du mépris, des forces de répression, des procès expéditifs et des emprisonnements.

Dans ces territoires déjà ravagés par le chômage, les bas salaires, la vie chère qui sont aggravés par rapport à la France hexagonale, la population des Antilles, largement hostile au vaccin, a reçu l’obligation vaccinale comme un mépris supplémentaire. En gros, être pour le vaccin était être pro Macron.

Au premier tour, Jean-Luc Mélenchon est arrivé largement en tête et au second tour, le seul opposant face à Macron était Marine Le Pen. Eh bien les électeurs ont voté pour l’opposante.

Parmi les milliers d’électeurs qui ont voté Le Pen, certains ont avoué avoir voté la mort dans l’âme. D’autres travailleurs, grévistes de Carrefour Market en Martinique face à un patronat béké particulièrement méprisant, ont associé ce dernier à Macron. Ils ont voté Le Pen pour exprimer leur colère. De même certains employés de la santé suspendus, car Le Pen avait promis en cas d’élection de réintégrer tous les travailleurs et les libéraux suspendus pour non respect de l’obligation vaccinale.

L’extrême droite, pire ennemi des travailleurs

Les immigrés qui arrivent en fuyant la misère ou la guerre sont nos frères et sœurs de classe. Ce sont des alliés dans la lutte contre les exploiteurs.

Les travailleurs qui adhèrent aux idées de l’extrême droite ou votent pour ce parti agissent contre leur camp.

Le Pen cherche à diviser les travailleurs, entre travailleurs immigrés et soi-disant français. C’est un piège ! C’est diviser pour mieux régner, pour que les gros capitalistes continuent à faire du profit sur le dos de tous les travailleurs et de la population, quelle que soit la nationalité inscrite sur leur passeport.

Malgré sa « dédiabolisation » réussie, Marine Le Pen est l’héritière du maréchal Pétain qui a collaboré avec le régime nazi. Elle porte l’héritage de la France coloniale contre l’émancipation des peuples opprimés.

En 2020, les députés du Rassemblement national au Parlement européen ont voté contre le fait que l’esclavage soit reconnu comme crime contre l’humanité. Et cela, c’est bien du racisme. Ce parti est truffé de racistes, de nostalgiques du nazisme.

 Le Pen n’est pas élue mais elle progresse en nombre de voix. Elle en a gagné 2,6  millions par rapport à 2017. C’est un encouragement pour les individus et les groupuscules d’extrême droite, anti-ouvriers et racistes. Le succès de la campagne de Le Pen en poussera peut-être certains à passer à l’action. Et, n’en doutons pas, ils auront le soutien moral, si ce n’est actif, de tous ceux qui, au cœur même de l’appareil d’État, dans la police et l’armée, portent eux aussi, des projets fascisants.

Le 14 avril dernier, lors d’une manifestation des étudiants occupant leur université à Paris pour protester contre le choix entre Le Pen et Macron au second tour, des voyous d’extrême droite ont attaqué les étudiants. Le vrai visage de l’extrême droite c’est celui-là. Et demain comme les nazis allemands ou les fascistes italiens des années 20 et 30 du siècle dernier, ils s’en prendront aux travailleurs. Le fascisme est né à l’époque pour mater les révolutions ouvrières.

Les grands partis de gauche et de droite, responsables de la montée de l’extrême droite

Les grands partis de gauche, le Parti socialiste (PS), le Parti communiste français (PCF), qui ont déjà été au pouvoir portent une importante responsabilité dans la montée de l’extrême droite.

Ils ont fait croire aux travailleurs que voter pour la gauche remplacera les combats militants dans les entreprises.

Comme les partis de droite, ils ont mené des politiques anti-ouvrières.

De Mitterrand à Hollande en passant par Jospin, ils ont détourné des milliards d’euros d’argent public au profit du grand patronat. Ils ont contribué à aggraver la pauvreté.

Tout ceci a accentué  la déception et la démoralisation des classes populaires et des propres militants de ces partis.

Macron aussi porte une bonne part de responsabilité. Le RN a progressé au cours de son premier mandat, progrès alimenté par la surenchère dans la démagogie anti-immigrés de Macron et ses ministres.

L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes !

La désorientation politique a conduit bon nombre de travailleurs au piège des illusions électorales qui consiste à faire croire que leur sort dépend de l’élection d’untel ou d’unetelle.

Dans le cadre du capitalisme, il ne peut pas y avoir de bon président pour les travailleurs. Aucun président de la République ne peut maîtriser l’inflation, la crise économique ou les guerres. Ce sont les riches capitalistes qui dominent la société et tant qu’ils dirigeront le monde, aucun président n’aura le pouvoir de faire reculer l’exploitation et les inégalités qui créent tant de souffrances.

Les travailleurs n’avaient rien à gagner dans cette élection et ils n’avaient pas beaucoup à perdre non plus. Cependant, voter Le Pen pour se débarrasser de Macron ce n’était faire que la moitié du chemin, c’était malgré tout renforcer même inconsciemment l’extrême droite.

L’autre moitié du chemin à faire aurait été de ne pas voter Le Pen donc de voter blanc. C’est là où la conscience de classe politique des travailleurs doit se renforcer. C’est une des tâches des communistes révolutionnaires que nous sommes que de contribuer à renforcer cette conscience au sein de la classe ouvrière et des masses populaires.