CO N°1287 (18 juin 2022) – Guadeloupe – Il y a 60 ans : le crash du Boeing 707 à Deshaies

Le 22 juin 1962, le Boeing 707 « Château de Chantilly » de la compagnie Air France, en provenance de Paris, s’est écrasé dans les hauteurs de Caféière à Deshaies. Il devait atterrir à l’aéroport du Raizet. Tous les passagers et l’équipage sont décédés, soit 113 personnes.

Parmi les victimes, le député guyanais Justin Catayée, membre fondateur du Parti socialiste guyanais, et le poète guadeloupéen Albert Béville dit Paul Niger, tous deux connus pour leur engagement anticolonialiste et autonomiste.

Accident ou élimination politique ? Le contexte politique de l’époque a longtemps conforté la deuxième hypothèse.

Après la seconde guerre mondiale, une vague de soulèvements populaires contre le colonialisme et pour l’indépendance gagna les colonies françaises d’Afrique et d’Asie.

L’État accorda l’indépendance à plusieurs colonies en passant des accords avec des dirigeants locaux : le Maroc, la Tunisie, le Sénégal, le Mali et la plupart des colonies d’Afrique.

Quelques mois avant le crash du Boeing, en mars 1962, l’État français signa les accords d’Évian qui mirent un terme à la guerre d’indépendance victorieuse du peuple algérien.

La France venait de perdre l’Algérie. Il était hors de question pour elle que le scénario se reproduise dans ses plus anciennes colonies des Antilles et de la Guyane. Surtout que Cuba, qui se situe dans la même zone, venait de s’émanciper vis-à-vis des États-Unis après une guérilla populaire et se rapprochait de l’Union soviétique, ennemi des Occidentaux en pleine guerre froide.

C’est pour toutes ces raisons que la France tenait sous surveillance les milieux anticolonialistes et revendicatifs antillo-guyanais et n’hésitait pas à réprimer les militants et les manifestants. La tension était palpable. En décembre 1959, suite à un incident entre un Blanc et un Noir martiniquais, des émeutes éclatèrent à Fort-de-France. Les autorités tirèrent et tuèrent trois jeunes.

Albert Béville s’était fait condamner quelques mois avant le crash. Membre fondateur du Front des Antilles-Guyane pour l’autonomie, il avait publié un pamphlet intitulé Les Antilles et la Guyane à l’heure de la décolonisation. Le Front fut dissous et Béville fut rétrogradé administrativement et interdit de séjour aux Antilles.

Sa disparition et celle de Catayée dans ce crash ont nourri l’hypothèse de l’élimination politique. Surtout que selon le témoignage de pêcheurs, l’avion aurait explosé en vol.

En 2016, une commission de recherche historique menée par l’historien Benjamin Stora, dont le rapport porte le nom, conclut que le Boeing n’a pas été détruit par une bombe, mais que l’accident est lié à l’insuffisance d’équipement de la tour de contrôle de l’aéroport pour gérer les atterrissages de nuit. Comme sa responsabilité était engagée, le gouvernement de l’époque avait interdit la publication de ces éléments.

Cinq ans plus tard, lors du massacre de mai 1967 à Pointe-à-Pitre, l’État colonial français n’a pas hésité à massacrer des manifestants, pour maintenir l’ordre colonial établi.