CO N°1346 (15 mars 2025) – Martinique – Il y a 90 ans : la marche de la faim

Des centaines d’ouvriers agricoles et d’usine ont quitté les campagnes pour marcher sur Fort-de France le 11 février 1935. Pour la première fois des ouvriers se sont rendus dans la capitale pour se faire entendre.

Une bonne partie de ces ouvriers n’y avaient jamais été. Ils réclamaient l’annulation de la baisse de leur salaire et la libération d’Iréné Suréna, leader de la grève.

Les ouvriers agricoles de la canne représentaient la fraction de la classe ouvrière la plus exploitée. Ce sont eux qui grâce à leur travail ont fait la richesse d’une petite couche de riches békés, tandis que la misère touchait les ouvriers et leur famille.

La Martinique comptait 16 usines à sucre et 170 distilleries. Le secteur économique de la production de sucre et de rhum représentait 90 % des exportations de la colonie. Cependant la crise économique de 1929, suite au krach boursier de New-York aux États-Unis, a touché de nombreuses régions du monde y compris la Martinique. En 1934 les prix mondiaux du sucre ont baissé, les industriels, les békés, ont décidé de s’attaquer aux salaires des ouvriers agricoles et d’usine, prétendant être au bord de la faillite. Mais les salariés n’étaient pas dupes. Ces grands propriétaires ont réalisé d’énormes profits durant la Première guerre mondiale, car la demande de rhum était très importante dans les tranchées. La réunion de la Commission paritaire du 16 janvier entre patrons et représentants des ouvriers n’a pas abouti à un accord. Quelques jours après sous la pression des planteurs et des usiniers, le gouverneur Mathieu Altassa a baissé les salaires de 20 % par arrêté. Cette baisse aurait fait passer leur journée de travail de 10 francs à 8 francs.

Le 26 janvier 1935 les ouvriers en colère ont commencé des grèves marchantes et ont incendié des champs de canne. Le représentant des travailleurs à la Commission, Iréné Suréna, a été arrêté le 10 février. Les ouvriers venus de plusieurs communes se sont rassemblés au Morne Pitault au Lamentin. Le lendemain matin, la « marche de la faim » a pris la direction de Fort-de-France. Les grévistes se sont rassemblés devant l’hôtel du gouverneur. La situation devenait de plus en plus tendue, des gendarmes ont été appelés en renfort, ils étaient armés de mousquetons, il y avait aussi des gendarmes à cheval.

Quelques années auparavant, les mouvements de grève de février 1900 au François et de février 1923 à Bassignac avaient été réprimés dans le sang. Le maire de Fort-de-France, Victor Sévère, s’est interposé et il a réussi à éviter un nouveau massacre. Les grévistes ont réussi à faire céder les planteurs, ils ont obtenu l’annulation de la baisse des salaires et la libération d’Iréné Suréna. Cependant la charge de travail des ouvriers agricoles a été augmentée. Le travail n’a pas tout de suite repris, des manifestations de mécontentement ont continué sur les habitations. Quelques mois après ce mouvement, fut créée la première Union syndicale de Martinique.