CO N°1355 (13 septembre 2025) – Martinique – 155ème anniversaire de l’Insurrection du Sud

En 1848, après des siècles de luttes, l’esclavage était aboli en Martinique. Pour les anciens esclaves, et la génération suivante, les conditions de vie restaient misérables : la dépendance aux grands propriétaires békés, les discriminations raciales, les salaires misérables, le joug colonial de la France. 

En février 1870, Léopold Lubin, jeune entrepreneur noir du Marin, refuse de dire bonjour à un officier blanc, Augier de Maintenon. Il est violement battu et tente de porter plainte, ce que la justice coloniale lui refuse. Quelques semaines plus tard, Lubin rend les coups à Maintenon. Il est condamné à cinq ans de bagne en Guyane et une forte amende. L’affaire révolte les habitants des communes pauvres du Sud. Des collectes sont organisées pour financer son appel en justice. Mais le 22 septembre, sa sentence est confirmée.

À Paris l’empire de Napoléon III s’effondre dans le désordre et la République est proclamée. Six mois plus tard, ce sera la Commune de Paris, premier pouvoir ouvrier de l’histoire. Mais l’espoir du changement social se manifestera encore plus vite en Martinique. À Rivière-Pilote, les conques de lambi sonnent le départ de l’insurrection.

Pendant quatre jours, du 22 au 25 septembre, plusieurs milliers d’hommes et de femmes, exploités des ateliers ou des habitations pour la plupart, armés de piques, de bâtons, de coutelas et de quelques fusils, se soulèvent. Ils incendient champs de canne, maisons de maîtres, sucreries, cases à bagasse, et attaquent les symboles de la puissance coloniale dans le Sud : Marin, Sainte-Luce, Sainte-Anne, Vauclin, Rivière-Salée. Leur objectif : faire plier les exploiteurs racistes.

Le gouverneur proclame l’état de siège. L’armée coloniale, renforcée par de milices blanches et mulâtres, traque les insurgés jusque dans les mornes. Malgré leur détermination, les insurgés, dirigés par Louis Telga, Eugène Lacaille ou encore Lumina Sophie dite Surprise, sont vaincus.

La répression est féroce. Des dizaines de personnes sont exécutées sommairement. Plus de 500 sont arrêtées. En 1871, un conseil de guerre prononce 79 condamnations exemplaires : huit fusillades publiques, des dizaines de condamnations au bagne à perpétuité en Guyane ou en Nouvelle-Calédonie et de lourdes peines de travaux forcés. Lumina Sophie, couturière de 21 ans et enceinte lors de son jugement, est déportée au bagne où elle mourra huit ans plus tard.

Au-delà de la répression sanguinaire, cette insurrection marque l’histoire. C’est la volonté de se défendre, de refuser l’ordre colonial des exploiteurs blancs. C’est le premier soulèvement d’ampleur depuis l’abolition de l’esclavage. C’est la première grande révolte ouvrière de Martinique. Bien d’autres suivront.

Presque sans armes, les travailleuses et travailleurs pauvres ont su embraser la région. Aujourd’hui, armés de la conscience de ces luttes, nous savons que le combat des ouvriers, des exploités, des paysans sans terre, pourra l’emporter contre les exploiteurs et le pouvoir colonial.