CO N°1254 (9 janvier 2021) – Notre camarade Rose

Nous publions ci-dessous un article de nos camarades de Lutte ouvrière à propos de la camarade Rose que nous avons bien connue aussi et qui a eu l’occasion de venir en Guadeloupe.

Notre camarade Rose Alpert Jersawitz est décédée jeudi 3 décembre, à 85 ans.
Rose, que nous appelions Dorothy, était née à New-York en 1935. Ses parents étaient des immigrants juifs pauvres de Lituanie, nés dans les années 1890 près de Vilnius, et venus aux États-Unis vers 1910, comme des millions de Juifs d’Europe orientale qui fuyaient alors la misère et les persécutions antisémites de l’Empire tsariste. Le père de Rose fut tanneur à Boston, puis plombier quand la famille s’installa à New York ; sa mère élevait les cinq enfants et faisait des lessives pour compléter les maigres revenus familiaux. Rose grandit dans East Harlem, un quartier populaire de New York, parmi les Noirs et les immigrés de différentes origines, Italiens, Irlandais ou Portoricains. Elle a raconté plus tard comment sa personnalité se forma alors, dans les bagarres de rue. Elle vécut ensuite à Toledo, dans l’Ohio, de 1942 à 1950, avant de retourner à New York où elle côtoya un groupe bohème, et découvrit les idées socialistes et athées. C’est dans ce groupe qu’elle rencontra son futur mari, Jack Jersawitz, avec qui elle partit pour Los Angeles où, en 1953, alors qu’elle n’avait pas 18 ans, elle rejoignit le Socialist Workers Party (SWP – Parti socialiste des travailleurs).
Ce petit parti, qui avait été dirigé par James P. Cannon, était issu de la IVe Internationale qu’avait fondée Trotsky en 1938. Tout en étant devenu souvent opportuniste vis-à-vis de courants non prolétariens, il demeurait une organisation très militante. Le SWP était jugé comme dangereux par les autorités, alors que le pays était marqué par la vague anticommuniste du maccarthysme. Le SWP fut déclaré illégal en 1954 et Rose fut alors régulièrement filée par le FBI. Elle occupa différents emplois ouvriers à Los Angeles, tout en militant activement. Elle se souvenait avoir vendu largement le journal du SWP, une habitude militante qu’elle devait garder toute sa vie. En 1956, elle retourna à New York pour créer un groupe de jeunes du SWP. En 1961, elle fut envoyée par le SWP à Chicago, avant de retourner en Californie, où elle vécut cinq ans dans la région de San Francisco, travaillant dans l’imprimerie d’un journal. Au cours de cette vie itinérante de ville en ville, courante aux États-Unis, et en particulier chez les militants, Rose fut candidate en 1963 à la mairie de Berkeley, près de San Francisco.
En 1964, elle quitta le SWP pour un autre groupe trotskyste, la Spartacist League. C’est lors d’une conférence internationale, à Londres, en 1966, qu’elle rencontra les camarades de Voix ouvrière, l’ancêtre de Lutte ouvrière. En 1968, de retour aux États-Unis, à New York, elle quittait la Spartacist League et fondait, avec quelques militants, un groupe décidé à militer en direction de la classe ouvrière. Une partie d’entre eux s’installèrent à Detroit, la capitale de l’industrie automobile, où Rose participa en 1971 à la formation du groupe trotskyste The Spark (L’étincelle).
The Spark, qui a toujours entretenu des relations fraternelles avec Lutte ouvrière, publiait des bulletins dans les entreprises où ses militants étaient présents. Rose travailla chez Chrysler et distribua les bulletins dans d’autres usines, dans ce petit groupe révolutionnaire où tous les militants devaient tout faire. À partir de 1974, elle vécut à Baltimore, dans le Maryland, où elle travailla de nouveau dans l’imprimerie, avant de venir vivre en France en 1986.
Une nouvelle adaptation était nécessaire, mais Rose apprit le français, s’intégra et poursuivit son activité militante au sein de Lutte ouvrière. Comme elle l’a expliqué dans ses mémoires (Une communiste, de part et d’autre de l’Atlantique, Les Bons caractères, 2016), « parler aux gens du socialisme, du communisme » était le fondement de sa vie. Après l’avoir fait à Los Angeles, New York, Chicago, San Francisco, Detroit et Baltimore, elle milita donc à Paris, pendant trente ans, jusqu’à ces derniers mois où ses ennuis de santé se multipliaient.
Ses camarades sur les deux rives de l’Atlantique n’oublieront pas son caractère entier, sa grande générosité, sa révolte contre l’ordre social capitaliste, et l’engagement communiste révolutionnaire qui a guidé son existence.

Michel BONDELET