CO N°1333 (14 septembre 2024) – Martinique – Septembre 1870 : l’insurrection du Sud

En septembre 1870, une grande insurrection éclate dans le sud de la Martinique.

Tout commence en février 1870. Léopold Lubin, un jeune noir, entrepreneur de travaux publics du Marin, se rend à cheval sur le chantier destiné à construire un canal sur la sucrerie du Marin. Il croise en sens inverse, sur un chemin étroit, deux cavaliers blancs : Pellet de Lautrec, accompagné d’un aide-commissaire de la Marine particulièrement arrogant, Augier de Maintenon. Ce dernier ordonne à Lubin de lui laisser le passage et de le saluer. Comme Lubin reste indifférent, il est jeté à terre et fouetté.

Lubin veut déposer plainte, mais on refuse de l’enregistrer. Il décide alors de se faire justice lui-même. Le 25 avril, il retrouve Augier de Maintenon, il lui rend ses coups de cravache sur un chemin.

Aussitôt arrêté, Lubin est condamné par la cour d’Assises de Fort-de-France à 5 ans de bagne avec déportation en Guyane et à une lourde amende. Lubin fait appel de sa condamnation mais son appel est rejeté.

Le 22 septembre, la République est proclamée en Martinique. En effet, quelques jours plus tôt en France, l’armée de Napoléon III a été vaincue par les troupes allemandes. L’empire s’effondre. Avec la nouvelle république, nait parmi les masses un certain espoir de connaitre moins de discrimination et plus de liberté. L’agitation gagne les ateliers.

L’annonce du rejet de l’appel de Lubin et la proclamation de la République déclenchent une insurrection qui se déclare d’abord à Rivière-Pilote, au son des conques de lambi, le 22 septembre. Plusieurs habitations sont brûlées par un millier d’émeutiers. L’insurrection s’étend bientôt à tout le sud. L’état d’urgence est proclamé dans 15 communes. Les békés, effrayés, constituent des milices. On leur distribue des fusils. L’armée est mobilisée. Après des affrontements qui dispersent le camp retranché où sont réfugiés les révoltés, qui disposent de fusils, de cailloux, et de bouteilles d’eau pimentée, la chasse à l’homme commence. L’insurrection se poursuit néanmoins jusqu’au 26 septembre, avec des prolongements sporadiques jusqu’au début d’octobre.

Au total, 500 émeutiers sont   arrêtés et plus d’une dizaine sont abattus. Les prisonniers passent en avril-mai 1871 devant un conseil de guerre qui prononce 79 condamnations dont huit condamnations à mort, aussitôt exécutées par fusillade, 28 condamnations aux travaux forcés à perpétuité, 10 condamnations à la déportation, 33 condamnations à des peines de travaux forcés allant de 10 à 20 ans.

Parmi les condamnés, une leader : Marie-Philomène Roptus, surnommée Lumina Sophie, et Surprise, une jeune couturière de 21 ans. Elle fut condamnée au bagne à perpétuité en Guyane alors qu’elle était enceinte. Elle mourut au bagne 8 ans après. On lui prête ces mots : « Le Bon Dieu aurait une case sur la terre que je la brûlerais car Dieu n’est sûrement qu’un vieux Béké. » Les plus importants leaders dont Eugène Lacaille sont exécutés. Louis Telgard parvint à s’enfuir, on parle de Sainte Lucie. Il ne sera  jamais retrouvé.

L’ampleur de cette révolte a été à la mesure des privations, de la misère, de l’oppression de classe et colonialiste, du racisme quotidien que vivent les ex-esclaves noirs de l’île. L’insurrection du Sud est la première révolte ouvrière au sortir de l’esclavage en Martinique, précisément 22 ans après son abolition.