CO N°1270 (25 septembre 2021) – Septembre 1870, l’insurrection du Sud en Martinique

En février 1870, Léopold Lubin, un jeune Noir entrepreneur de travaux publics est cravaché par un homme blanc, le sieur Augier de Maintenon, pour ne lui avoir pas cédé le passage. Sa plainte ayant été classée sans suite, Lubin décide quelques mois plus tard de se faire justice lui-même, en rossant l’individu. Il est condamné au bagne pour crime.

La protestation s’organise parmi le petit peuple de Rivière -Pilote, de Ste Luce, du Marin, d’abord autour de souscriptions pour permettre à Lubin de faire appel de ce jugement révoltant. Puis, la colère des masses populaires s’exprime contre les juges racistes qui confirment la sentence et contre le gros planteur Codé, l’un des plus réactionnaires.

L’insurrection du Sud a débuté le jeudi 22 septembre et s’est poursuivie jusqu’au dimanche 25 septembre 1870. Partie de la campagne de     Rivière-Pilote, elle a gagné le bourg de Rivière-Pilote. Puis durant cinq jours, des groupes d’insurgés, armés de piques, de bâtons, de coutelas, de quelques fusils aussi, se sont répandus dans les campagnes du Marin, de Sainte Luce, de Rivière-Salée, de Sainte-Anne ou du Vauclin, incendiant des dizaines de champs d’habitations, de cases à bagasse, des maisons de maîtres, des sucreries et tenant tête au pouvoir colonial.

L’ampleur de cette révolte est à la mesure des privations, de la misère, de l’oppression de classe et colonialiste, du racisme quotidien que vivent les ex-esclaves noirs de l’île.

Le 22 septembre est le jour de la proclamation de la république à Rivière-Pilote.

En effet, quelques jours plus tôt en France, l’armée de Napoléon III a été vaincue par les troupes allemandes. L’empire s’effondre. La république est proclamée. Avec elle nait parmi les masses un certain espoir de connaitre moins de discrimination et plus de liberté. L’agitation gagne les ateliers.

À Rivière-Pilote, les gendarmes sont envoyés pour protéger les habitations des gros propriétaires. C’est notamment suite à cette intervention qu’explosera la colère des masses.

Du 22 au 25 septembre, emmenés par des leaders comme Louis Telga, Eugène. Lacaille, Daniel Bolivard, Lumina Sophie dite Surprise, Madeleine Clem, Léonce Elise, Emile Sydney, J-V. Rosine, Joseph Rivières, des milliers d’exploités se sont dressés contre leurs oppresseurs, propriétaires békés des habitations pour la plupart, avec la volonté pour certains d’entre eux de leur prendre des terres. Ils se sont révoltés contre l’administration coloniale et ses injustices, ses maires, ses forces de répression et ses milices de volontaires, avec la volonté peut être de se débarrasser d’eux.

Trois jours plus tard, le 24 septembre, le gouverneur Menche de Loisne déclarait la ville de Rivière-Pilote en état de siège et faisait intervenir ses détachements de fantassins, ses gendarmes et ses bataillons de la Marine. Puis ce fut au tour des milices levées par les possédants blancs et mulâtres dans les villes de St Pierre et de Fort-de-France de faire la chasse aux insurgés dans les campagnes, cherchant à les terroriser. Avec courage et audace, les insurgés se sont préparés à résister en établissant un camp retranché à Régale avec les troupes de Telga et Lacaille. Ils n’ont pas réussi.

La répression fut d’une férocité inouïe. Sur une population qui comptait à l’époque environ 120 000 personnes, des dizaines de personnes furent massacrées par les troupes coloniales déchainées. Plus de 500 personnes furent jugées, 120 furent envoyées au bagne de Cayenne et même de Nouvelle Calédonie. Huit des chefs furent exécutés entre 1871 et 1872 au Polygone de Desclieux, bâtiment militaire situé à Fort-de-France.

L’insurrection du Sud a signé l’apparition révolutionnaire du prolétariat martiniquais au sortir de l’esclavage. Il a écrit la première page de son histoire qui est une source de fierté, d’inspiration et de courage pour les travailleurs et les opprimés dans leur combat collectif d’aujourd’hui.