En février 1870, Léopold Lubin, un jeune Noir entrepreneur de travaux publics, est cravaché par un homme blanc, le sieur Augier de Maintenon, pour ne lui avoir pas cédé le passage. Sa plainte ayant été classée sans suite, Lubin décide quelques mois plus tard de se faire justice lui-même, en frappant l’homme blanc. Il est condamné au bagne pour crime.
La protestation s’organise parmi le petit peuple de Rivière-Pilote, de Sainte Luce, du Marin, d’abord autour de souscriptions pour permettre à Lubin de faire appel de ce jugement révoltant. Puis la colère des masses populaires s’exprime contre les juges racistes qui confirment la sentence et contre le gros planteur Codé, l’un des plus réactionnaires.
L’insurrection du Sud a débuté le 22 septembre et s’est poursuivie jusqu’au 25 septembre 1870. Partie de la campagne de Rivière-Pilote, elle a gagné le bourg de Rivière-Pilote. Les ouvriers quittent les ateliers et les habitations. Toutes les couches de la population noire et exploitée sont révoltées. Puis durant cinq jours, des groupes d’insurgés, armés de piques, de bâtons, de coutelas, de quelques fusils aussi, se sont répandus dans les campagnes du Marin, de Sainte-Luce, de Rivière-Salée, de Sainte-Anne ou du Vauclin, incendiant des dizaines de champs d’habitations, de cases à bagasse, des maisons de maîtres, des sucreries et tenant tête au pouvoir colonial.
Le 22 septembre 1870 est le jour de la proclamation de la république à Rivière-Pilote.
En effet, quelques jours plus tôt en France, l’armée de Napoléon III a été vaincue par les troupes allemandes. L’empire s’effondre. La république est proclamée. Avec elle naît parmi les masses un certain espoir de connaître des conditions de vie moins difficiles, moins de discrimination et plus de liberté. L’agitation gagne les ateliers.
Du 22 au 25 septembre, emmenés par des leaders comme Louis Telga, Eugène, Lacaille, Daniel Bolivard, Lumina Sophie dite Surprise, Madeleine Clem, Léonce Elise, Emile Sydney, J-V. Rosine, Joseph Rivièrez, des milliers d’exploités se sont dressés contre leurs oppresseurs, propriétaires békés des habitations pour la plupart. Certains d’entre eux ont la volonté de leur prendre des terres. Ils se sont révoltés contre l’administration coloniale et ses injustices, ses maires, ses forces de répression et ses milices de volontaires.
Les autorités répliquèrent à leur tour. La répression fut féroce. Sur une population qui comptait à l’époque environ 120 000 personnes, des dizaines de personnes furent massacrées par les troupes coloniales déchaînées. Plus de 500 personnes furent jugées, 120 furent envoyées au bagne de Cayenne et même de Nouvelle Calédonie. Huit des chefs furent exécutés entre 1871 et 1872 au Polygone de Desclieux à Fort-de-France. On ne retrouva jamais Telga qui selon la rumeur parvint à s’enfuir vers une île anglophone.
L’ampleur de cette révolte a été à la mesure des privations, de la misère, de l’oppression de classe et colonialiste, du racisme quotidien que vivaient les ex-esclaves noirs de l’île. L’insurrection du Sud est la première révolte ouvrière au sortir de l’esclavage en Martinique. Elle a été et elle reste encore un exemple de lutte insurrectionnelle pour les travailleurs d’aujourd’hui.