CO N°1349 (26 avril 2025) – Haïti – Méfaits de deux siècles de rançon !

Le 17 avril 1825 le roi de France Charles X reconnaissait l’indépendance d’Haïti moyennant une rançon exorbitante. Vingt ans plus tôt, les esclaves de Saint-Domingue avaient acquis leur liberté par la lutte et proclamé leur indépendance le 1er janvier 1804. Deux cents ans plus tard les méfaits de ce pillage pèsent sur la population pauvre.

En novembre 1803, « l’Armée indigène » des esclaves révoltés, remportait la bataille de Vertières face à l’armée envoyée par Napoléon venue rétablir l’esclavage. Les français capitulèrent et quelques semaines plus tard, la déclaration d’indépendance fut proclamée le 1er janvier 1804.

Haïti fut la première nation noire à arracher son indépendance. Elle ne fut pas reconnue par les bourgeoisies des pays colonisateurs, qui lui imposèrent un blocus. Les dirigeants haïtiens, anciens officiers militaires durent affronter les crises successives, tout en gardant un œil sur l’horizon, à l’affût d’un retour de navires de guerre français.

Une rançon pour étrangler la première nation noire

La bourgeoisie française refusait sa défaite, les planteurs espéraient revenir pour reprendre l’exploitation lucrative de la canne à sucre et des esclaves qui avait fait de Saint Domingue la « Perle des Antilles ». Les colons français, anglais et espagnols redoutaient de voir l’exemple haïtien contaminer leurs colonies.

Ainsi, vingt et un ans plus tard, la flotte française menaça les côtes d’Haïti. Un accord fut alors imposé au gouvernement haïtien le 17 avril 1825. En échange de la reconnaissance d’Haïti par la France, l’État haïtien devait s’acquitter d’une énorme indemnité envers les bourgeois français.

Le roi Charles X décréta :

« Les habitants actuels de la partie française de Saint Domingue verseront à la caisse fédérale des dépôts et consignations de France, en cinq termes égaux, d’année en année, la somme de cent cinquante millions de francs, destinée à dédommager les anciens colons qui réclameront une indemnité.

Nous concédons, à ces conditions, par la présente ordonnance, aux habitants actuels de la partie française de Saint Domingue, l’indépendance pleine et entière de leur gouvernement. »

Ces dédommagements de 150 millions de Francs-or, équivalaient à dix fois le revenu annuel de l’État haïtien. La somme était destinée aux anciens propriétaires de terres et d’esclaves. Pour payer cette rançon la nouvelle république fut contrainte d’emprunter à des taux très élevés auprès de banques françaises.

La rapacité des bourgeoisies françaises et américaines

Il n’y a pas de « dette » d’Haïti, mais il s’agit bien d’un vol avalisé par les bourgeoisies coloniales, une « rançon » qui a piégé l’État haïtien dans une boucle d’endettement. Les intérêts de cet emprunt ont augmenté chaque année la somme à rembourser. La saignée s’étala jusqu’en 1952, date du paiement des derniers intérêts.

C’est la population laborieuse, les paysans qui ont subi l’effet de ce vol. Le code rural instauré en 1826 par le président Boyer empêcha tout déplacement des paysans hors de la plantation. Ils produisaient le café qui payait la rançon. Sans aucune amélioration de sa condition, la paysannerie s’est appauvrie jusqu’à devenir misérable. Le bénéfice tiré de l’exploitation des paysans cultivateurs de café devint un facteur de l’enrichissement des bourgeois français autant que ceux d’Europe ou des USA.

Dans ce marasme, la bourgeoisie haïtienne naissante tira ses marrons du feu. Elle créa la banque nationale d’Haïti (BNH) en septembre 1880. Derrière la BNH, on trouve le Crédit Industriel et Commercial (CIC) qui était le recouvreur de la créance. Elle permit aux financiers français de garder une emprise économique jusqu’au 20ème siècle au profit de la bourgeoisie française. Le CIC les investit dans des activités de prestige, comme la construction de la tour Eiffel.

Haïti reversait ainsi le gros de son impôt sur le café à la France, d’abord à ses anciens esclavagistes, puis au CIC. Lorsque le marché du café s’effondra dans les années 1890 un nouvel emprunt fut nécessaire. Cinquante millions de francs furent obtenus via la Banque Nationale en 1896. Le prêt était une nouvelle fois garanti par l’impôt sur le café, la source de revenus la plus fiable du pays.

La bourgeoisie américaine s’intéressa aussi à la situation économique d’Haïti. En 1914, l’armée américaine envahit le pays, les Marines pillèrent 500 000 dollars en or de la Banque. Pendant l’occupation américaine les militaires imposèrent le travail forcé, proche de l’esclavage. Les banquiers américains contrôlaient la finance et les présidents successifs étaient des instruments à leur solde. Ils imposèrent de nouveaux emprunts en 1922. L’occupation militaire dura jusqu’en 1947.

Ainsi la majeure partie des revenus publics du pays, qui   auraient dû être investis dans    la construction d’aménagements élémentaires pour la population étaient détournés. Ce paiement condamnait la nation haïtienne à l’instabilité politique et au sous-développement chronique. Il entraîna pour la population laborieuse la pauvreté, des crises alimentaires et la violence sur fond de catastrophes naturelles.

La dictature des Duvalier, père et fils, pendant plus de 30 ans, de 1957 à 1986, a poursuivi l’exploitation des travailleurs, des paysans. Ils se sont enrichis sur le dos de la classe laborieuse et ont accentué plus encore sa misère. Après la chute des Duvalier la bourgeoisie a continué à s’enrichir, surnageant dans un océan de misère.

Ce n’est pas la bourgeoisie, ni   la classe politique dominante   qui ont payé le prix de la rançon imposée par la bourgeoisie   française. Ce sont les paysans    à l’époque et les travailleurs   aujourd’hui qui en subissent les conséquences. Ce sont les travailleurs organisés qui ont la tâche de renverser la dépendance néocoloniale instituée par la bourgeoisie française.